Le secret d’une longue amitié ? Le jambon-fromage suisse, du nom de ce sandwich contrefaisant vaguement l’emmental qu’on retrouve dans n’importe quel deli de New York, ces épiceries où l’on sert casse-croûte et café insipide à toute heure. En 1986, Steve Witkoff a réalisé l’affaire de sa vie en dépannant de quelques dollars Donald Trump qui n’avait pas un rond en poche pour payer sa collation. De cette rencontre nocturne en plein Manhattan est née une amitié indéfectible entre les deux hommes. « My buddy » (« mon pote ») : Trump appelle Witkoff ainsi. Rare de la part du président. Spécialement en public. Presque quarante ans plus tard, le « pote » de Trump, magnat de l’immobilier comme lui, est chargé, du Proche-Orient au Donbass, de la paix dans le monde.
Steve Witkoff, qui a fêté ses 68 ans le 15 mars, est le dernier-né de ces bêtes politiques créées par Trump alors que rien dans son CV ne le prédisposait à superviser le cessez-le-feu entre le Hamas et Israël ou à discuter avec Moscou et Kiev de l’arrêt des hostilités en Ukraine. Ancien avocat dans les années 1980, puis promoteur à la tête d’un empire immobilier de plus d’un milliard de dollars, Witkoff est un pur produit du trumpisme. Ses talents de négociateur, sa loyauté inébranlable, son pragmatisme sont les traits les plus recherchés par le président des États-Unis qui a toujours considéré que le monde de l’immobilier new-yorkais, avec ses requins, ses escrocs et ses salauds, valait tous les terrains de guerre du monde. Et que les problèmes de la planète pouvaient se gérer tel un cadastre, à la découpe, comme le faux fromage suisse des delis.
Avant la convention républicaine de juillet 2024, le grand public ne connaissait pas la voix, légèrement nasale mais étonnamment douce, de ce natif du Bronx, fils d’une institutrice et d’un marchand de manteaux pour femmes, tous deux juifs. Le best buddy était encore discret… New-Yorkais échoué lui aussi en Floride comme son copain, Witkoff n’était jusqu’ici connu du cercle trumpien qu’en tant que partenaire de golf de Trump. L’un des rares à ne pas sous-jouer pour laisser gagner son illustre ami. C’est à ses côtés d’ailleurs qu’il fut le témoin, en septembre 2024, sur son green de West Palm Beach, de la deuxième tentative d’assassinat contre Trump par un militant pro-Ukraine armé d’un AK-47.
Steve Witkoff a des airs de Joe Pesci. Il peut être cordial. Mais il ne faut pas le chercher. En 1998, le Wall Street Journal lui consacrait un portrait dans lequel on apprenait qu’il portait un pistolet attaché à sa cheville et était fan de la trilogie du Parrain : rien que de très banal au milieu des années 1990 où la frontière entre investisseurs et truands était ténue. Jamais les deux partenaires ne se sont fâchés. « Donald est l’homme le plus gentil et le plus compatissant que j’aie jamais rencontré dans ma vie », témoignait ainsi Witkoff lors de la convention républicaine.
Un style iconoclaste
Sous le premier mandat de son ami, Witkoff avait eu une vague mission d’évaluation de l’impact du Covid-19 sur l’économie américaine. Pendant la traversée du désert de Trump, les deux ex-New-Yorkais se mettent à parler des affaires du monde entre deux putts. Le républicain est épaté par ses connaissances. Avant même que Trump ne soit élu, Witkoff servait déjà la diplomatie de la future administration. Quand Biden annonce en mai 2024 qu’il ne fournirait plus d’armes si Tsahal rentrait dans Rafah, Witkoff va à la rencontre des donateurs juifs du parti républicain, créant une sorte de coalition pro-Israël autour de Trump, et décroche des millions de dollars. Il prend son avion personnel avant l’investiture du président et vient déjà négocier une trêve pour libérer les otages retenus par le Hamas.
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Arrivé en Israël deux semaines avant la prise de fonction du président républicain, Witkoff impose son style iconoclaste en exigeant que Netanyahou le rencontre un samedi, lui faisant même la morale : sauver des vies est un commandement plus important que d’observer le shabbat. Toujours à bord de son avion, il fait la navette entre l’État hébreu, l’Égypte, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar. Le dealmaker arrache un cessez-le-feu et vole la vedette à Marco Rubio. Le 26 janvier dernier, Witkoff, présent à l’inauguration de la synagogue Altneu, dans l’Upper East Side, à Manhattan, revient sur un épisode dramatique de sa vie : « J’appartiens à un très triste club, celui des parents qui ont perdu un enfant », comparant sa douleur à celle des parents d’otages tués par le Hamas. Son fils Andrew est mort en 2011 d’une overdose à l’oxycodone, un puissant opiacé.
En l’espace de quelques semaines, le voilà confronté aux drames épouvantables de la guerre. Il visite Gaza en ruines. On lui prête l’idée d’en faire une Côte d’Azur, lui qui estime qu’il faudra « peut-être une vingtaine d’années pour que tout soit reconstruit et sécurisé ». Le voilà en première ligne pour éteindre le feu en Ukraine. Il rencontre une première fois Vladimir Poutine en février pour négocier la libération de Marc Fogel, un instituteur américain de 63 ans détenu dans une colonie pénitentiaire russe depuis 2021 pour possession de 17 grammes de marijuana (à usage médical). La mère de l’enseignant, âgée de 94 ans, avait plaidé sa cause auprès de Trump à Butler juste avant sa tentative d’assassinat.
Le revoici « envoyé spécial » au Kremlin, en tête-à-tête avec Poutine, cette fois-ci pour obtenir un cessez-le-feu en Ukraine. Désormais surnommé le « fixeur » de Trump, Witkoff a poireauté huit heures avant de voir le président russe. Une goujaterie mollement démentie par la Maison-Blanche. De sa longue discussion – plus de trois heures – avec Poutine (seul un interprète était présent), peu de choses ont filtré sur les exigences de la Russie. Witkoff a parlé d’une rencontre « positive ». Et c’est tout. Comme Kissinger en son temps lorsqu’il se rendait en Chine, le « fixeur » accepte de se mettre à la table des infréquentables d’hier destinés à devenir les partenaires de demain. Le métier rentre vite.
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