À la surprise générale, le « messie de TikTok » était arrivé en tête de l’élection présidentielle roumaine avec 23 % des voix. Mais le 6 décembre, la Cour constitutionnelle roumaine a annulé le vote à la suite de rapports du renseignement montrant l’implication de la Russie dans l’influence exercée sur les électeurs via TikTok.
En France, le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum) a publié un rapport d’information sur la manipulation ayant ciblé l’élection présidentielle roumaine de 2024. Et comme l’indique le site de l’ambassade de France en Roumanie, « le ministre délégué chargé de l’Europe, Benjamin Haddad, a abordé ce sujet lors de sa visite à Bucarest, les 5 et 6 février ». La France est donc en pointe dans le dossier Georgescu…
Le 28 février, après l’annonce de nouvelles élections en mai prochain, Calin Georgescu a tenté de déposer une nouvelle candidature. Il a été arrêté en pleine rue et conduit au tribunal. On l’accuse d’actes anticonstitutionnels et de déclaration erronée du financement de sa campagne (il a déclaré avoir dépensé… 0 leu, la monnaie roumaine). On lui reproche enfin des sympathies pour la Garde de fer, parti politique fasciste et antisémite d’entre-deux-guerres, ce qui est illégal en vertu du droit roumain.
L’héritage toxique du socialisme
Dimanche dernier, il a été définitivement exclu de toute candidature en raison de « ses actions et déclarations antérieures contraires aux valeurs requises par la fonction présidentielle ». C’est désormais George Simion, chef du parti AUR, qui sera le candidat des forces nationalistes à l’élection présidentielle à la place de Georgescu. Et si Simion n’est pas accepté par la Cour constitutionnelle, Anamaria Gavrila, chef du POT, constituera la solution de repli.
Pourtant, lorsqu’on ausculte le passé de Calin Georgescu, inconnu avant l’élection, le portrait est assez éloigné de l’image d’un dangereux séditieux. Georgescu appartient davantage à la galaxie qui aujourd’hui le persécute qu’aux fantômes de Corneliu Codreanu et du fascisme roumain. « Le réseau Soros en Roumanie sera définitivement interdit si je suis élu parce qu’il a causé beaucoup de tort à mon pays, à mon peuple », déclarait-il dans une interview avec Mario Nawfal, proche collaborateur d’Elon Musk.
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Le réseau Soros, Georgescu l’a bien connu : il « est lié à des fonctionnaires et aux forces de l’ordre. Je suis fermement engagé à enquêter et à dénoncer tous les responsables, tant en Roumanie qu’aux États-Unis, pour la gestion illégale de ces fonds de l’USaid et du réseau Soros », expliquait-il au micro d’Alex Jones, blogueur complotiste américain proche de Trump.
Après la chute du communisme, les questions environnementales deviennent un terrain fertile pour les financements internationaux. Le pays est alors ravagé par l’héritage toxique du « socialisme productiviste » cher au dictateur Nicolae Ceausescu. Le « génie des Carpates » avait, on s’en souvient, une femme, Elena, qui mena une fulgurante carrière de chercheuse en chimie macromoléculaire à grand renfort de thèse bidon et de titres de complaisance. Tout cela a laissé des traces dans le paysage. L’écologie était un gros mot dans la petite patrie des travailleurs.
Résultat, après 1989, cinq grandes zones industrielles sont gravement polluées et 80 % des rivières ont une eau contaminée. L’agriculture intensive a également causé une importante érosion des sols. Telles sont les conclusions d’un rapport de 1991 de l’Union internationale pour la conservation de la nature. En conséquence, le pays reçoit un soutien extérieur important, impliquant les autorités publiques et la société civile.
Partenaire de Soros
Au début des années 1990, deux partis politiques écologistes apparaissent, ainsi qu’un grand nombre d’ONG. Calin Georgescu a bâti sa carrière en dirigeant l’une d’elles, Tineretul Ecologist din România (TER). Après avoir été la branche jeunesse d’un parti écologiste, en 1992, le TER devient une « ONG indépendante », ce qui lui permet d’accéder aux financements publics et internationaux. À cette époque, Georgescu est également conseiller du ministre de l’Environnement, Marcian Bleahu. Il fait donc pleinement partie du système qu’il fustige aujourd’hui, tout en étant actif dans des ONG bénéficiant de fonds étrangers. TER organise alors diverses actions : campagnes éducatives, symposiums, surveillance environnementale et rédaction de rapports à destination des autorités.
C’est ainsi qu’il noue des partenariats avec la Fondation Soros. En 1995, le quotidien Jurnal bihorean rapporte que le TER de Calin Georgescu et la Fondation Soros pour une « société ouverte » ont organisé ensemble la « Semaine de l’éducation écologique » dans quatre lycées d’Oradea. Ce partenariat était organisé dans le cadre de la Journée de la Terre. On est loin des fascistes de la Garde de fer.
Dès lors, on peut s’interroger : pourquoi sa candidature suscite-t-elle une telle méfiance au point qu’on veuille à tout prix la rendre impossible ? D’abord, parce que Calin Georgescu avait de très grandes chances de l’emporter l’an dernier et qu’il avait balayé le candidat sortant. Ensuite, et c’est peut-être le principal point, Calin Georgescu est hostile depuis le départ à la guerre en Ukraine et souhaite la paix. Ces déclarations lui valent aussitôt le qualificatif de « pro-russe » qui, ajouté à celui d’« extrême droite », vaut, aux yeux de Bruxelles, du camp atlantiste et des autorités roumaines, disqualification.
L’OTAN soigne son flanc est
La raison véritable de l’acharnement dont Calin Georgescu fait l’objet est beaucoup plus banale. S’il est écarté de la présidentielle, c’est parce que la Roumanie est un pilier du flanc oriental de l’Otan. Elle accueille des unités militaires multinationales, dont 1 500 Français, ainsi qu’un système de défense contre les missiles balistiques situé sur la base de Deveselu.
Le pays possède aussi une frontière de plus de 650 kilomètres avec l’Ukraine, et sa côte orientale, sur la mer Noire, se trouve à moins de 250 kilomètres de la péninsule de Crimée, contrôlée par la Russie depuis 2014. Elle ne saurait en aucun cas rejoindre le club de la Hongrie et de la Slovaquie, connues pour leur hostilité à la guerre. L’Otan perdrait alors presque tout son flanc sud. En ces temps de nouvelle guerre froide, cela vaut bien de s’asseoir sur ses principes en truquant une élection, quitte à renouer avec des méthodes typiques de l’ère des époux Ceausescu.
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