
C’est la fable du Scorpion et de la Grenouille. Un scorpion demande à une grenouille de le transporter d’une rive à l’autre. D’abord effrayée par son aiguillon venimeux, la grenouille accepte, pensant que si le scorpion la piquait, ils périraient tous les deux. Au milieu de la rivière, le scorpion la pique mortellement. Lorsque la grenouille lui demande la raison de son geste, celui-ci répond : « C’est dans ma nature. » Le député MoDem Richard Ramos y voit un parallèle avec les menaces de démission de Gérald Darmanin et de Bruno Retailleau : « S’ils ne peuvent pas s’empêcher de faire tomber le gouvernement, leur volonté d’être élus présidents de la République sera anéantie. »
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C’est pourtant toute la mission de François Bayrou : faire tenir ensemble des ministres aux lignes politiques contraires et aux ambitions parfois démesurées. Chose rare, le Premier ministre a haussé le ton pour remettre de l’ordre dans son gouvernement. Lors d’un déjeuner à Matignon, mardi 18 mars, il a d’abord fustigé « des critiques internes inacceptables » avant de convoquer cinq ministres en désaccord sur l’interdiction du port du voile dans les compétitions sportives et de les inviter à faire preuve de « solidarité ».
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Quelques minutes plus tôt, Gérald Darmanin menaçait de tout envoyer balader si François Bayrou renonçait à légiférer sur le sujet, alors qu’une proposition de loi avait déjà été votée fin février au Sénat et que le gouvernement s’y était montré favorable. Le garde des Sceaux n’a pas du tout apprécié que la ministre des Sports affirme que le voile dans les compétitions sportives « n’est pas de l’entrisme » religieux. « On ne peut pas rester dans un gouvernement qui cède sur cette question », a-t-il asséné. Le Premier ministre lui a finalement donné raison. En fin de semaine dernière, c’était au tour de Bruno Retailleau d’agiter le spectre de la démission s’il lui était « demandé de céder » sur le dossier algérien.
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« Les propos de Retailleau, relayés et exagérés par la presse, ont probablement poussé Darmanin à en faire de même », peste un cadre du bloc central. « Quand on est ministre, on doit régler ces sujets en interne. Que chacun aille dans les médias pour faire sa publicité, ça suffit. Quand il y a un problème de ligne avec le gouvernement, une démission ne se brandit pas, elle se pose », s’agace-t-il. « Les Français voient bien que ce chantage à la démission relève de la petite politique politicienne », abonde Richard Ramos, secrétaire général adjoint du MoDem.
Une méthode Bayrou trop permissive ?
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François Bayrou serait-il allé trop loin en revendiquant pour ses ministres une liberté de ton totale ? « La “méthode Bayrou” est la bonne. Matignon n’est pas là pour contrôler les communiqués de presse et les interviews, mais pour surveiller le travail réalisé. On ne va pas reprocher aux ministres compétents d’avoir une certaine liberté pour s’exprimer, ni au chef du gouvernement de ne pas avoir des Playmobil en guise de ministres, comme cela a été le cas ces sept dernières années », défend le député du Loiret. Pour lui, la diversité des voix dans un gouvernement est « la nature même du centrisme ».
« Vous mettez vingt personnes dans la même pièce. Vous avez des gens très à droite, des gens très à gauche et d’autres qui ne pensent rien. Vous mélangez tout ça et vous voilà avec le gouvernement Bayrou », raille le porte-parole du Rassemblement national Laurent Jacobelli, qui ne croit pas à la possibilité d’un changement de cap avant la prochaine élection présidentielle. « Je connais François Bayrou depuis trente ans. Son problème, c’est qu’il est toujours dans l’entre-deux et ne prend finalement jamais de décision », tacle le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse.
C’est d’ailleurs comme « citoyen et observateur » que François Bayrou a jugé impossible de ramener l’âge de la retraite à 62 ans, ce mardi à l’Assemblée nationale. Un curieux dédoublement de personnalité qui sème la confusion. Le Premier ministre avait pourtant lui-même lancé le conclave des retraites entre partenaires sociaux et patronat, « sans totem ni tabou ». Officiellement, le Socle commun est aligné sur sa position. Pourtant, en off, certains grincent des dents : « Je ne comprends pas cette sortie. Pourquoi fixer des lignes rouges maintenant alors que les négociations sont engagées depuis plusieurs semaines et que le mot d’ordre était : “On fait confiance aux corps intermédiaires” ? » Une posture que le ministre de l’Économie, Éric Lombard, a rappelée : « La position du gouvernement, c’est que le conclave doit se prononcer, et cet engagement du conclave aura une force considérable. » L’exécutif laisse-t-il ainsi la porte ouverte à un revirement sur l’âge légal de départ ?
Conséquence de ce nouvel imbroglio : le Parti socialiste sonne à nouveau la charge contre François Bayrou. « Le Premier ministre commet une erreur en pensant que nous ne pouvons plus le censurer », prévient le député PS Pierrick Courbon. « On est surpris par le péché d’orgueil et l’excès de confiance qu’il affiche ces dernières semaines », ajoute-t-il. Il ne croit toutefois pas à une motion de censure avant la fin de la séquence internationale : « Mais d’ici à l’été, ce sera sur la table. »
Un Premier ministre assiégé
À droite, Laurent Wauquiez ne retient plus ses coups. « Nous étions prêts à travailler avec vous », a-t-il lancé au gouvernement lors des questions à l’Assemblée. « Mais nous avons reçu le programme législatif. Il n’y a rien », a-t-il poursuivi, déplorant l’absence d’une grande loi sur l’immigration. S’il vise en substance son rival Bruno Retailleau, l’ancien président de la région Auvergne-Rhône-Alpes alimente surtout le procès en inaction intenté au Premier ministre. « La grille de lecture majeure pour l’opinion publique, c’est l’inertie : François Bayrou ne fait rien, il ne se passe rien », analyse Frédéric Dabi, directeur de l’Ifop, dans Le Monde.
Matignon, jadis le cœur battant du pouvoir, semble aujourd’hui n’être qu’un sas d’attente où s’érodent les ambitions. Bayrou, acculé par les siens autant que par ses adversaires, peine à imprimer sa marque. À force de temporiser, il risque de finir comme ces Premiers ministres qu’on oublie aussitôt qu’ils quittent la scène, laissant derrière eux l’écho des occasions manquées.
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