« Ce n’est pas demain la veille que les gens vont se remettre à manger de la viande à chaque repas. » Le constat de Jérôme, boucher-charcutier depuis douze ans à Toulouse (Haute-Garonne), est sans appel : ces derniers mois, ses ventes carnées ont considérablement diminué. « Avant, une famille de quatre pouvait acheter jusqu’à trois kilos de porc ou de volaille pour la semaine. Aujourd’hui, on est plutôt sur quelques centaines de grammes », décrit-il au JDD.
Le point de vue du Toulousain semble d’ailleurs se confirmer à plus grande échelle : d’après une étude réalisée par Harris Interactive pour l’association Réseau Action Climat, révélée ce 17 mars, 53 % des Français ont réduit leur consommation de viande sur ces trois dernières années.
Dans le détail, pour 52 % des personnes sondées, la raison de ce changement de consommation est avant tout économique. Interrogé par le JDD, Nicolas Rouault, ingénieur agroéconomiste, confirme : « Avec l’inflation ces trois dernières années, le client est moins enclin à mettre le prix pour acheter de la viande, notamment celle de bonne qualité. » Selon l’expert, les clients diminuent leur consommation de « pièces bouchères » et « se dirigent plutôt vers des substituts carnés de premier prix, comme les lardons ».
D’après Pierre Sanson, éleveur bovin, le phénomène ne risque pas de s’arranger. « Les prix explosent et les demandes ne font que baisser. C’est un cercle vicieux ! », regrette-t-il. Avant d’ajouter : « À ce rythme, le secteur ne va plus tenir très longtemps. »
Entre inquiétude et renouvellement
Si certains s’alarment, d’autres s’adaptent. Pour Jérôme, il est indispensable d’ajuster ses produits aux nouveaux comportements de consommation. « Ce qui les intéresse, c’est surtout le tout-prêt et, encore mieux, les plats cuisinés », développe le boucher. C’est le week-end que sa boutique vend ses plus belles pièces. Mais en semaine, les plats traiteurs font l’unanimité. « Parfois même, on hache du faux-filet ou du rumsteck pour en faire des steaks, parce que c’est plus rapide et facile à cuisiner pour les gens », poursuit-il. Pour maintenir son commerce, il adapte également sa vitrine : « Si on ne faisait que de la viande crue, on serait cuits ! »
La suite après cette publicité
Le veau et l’agneau, ça ne cesse de dégringoler
Jérôme, boucher-charcutier
Outre une baisse de consommation carnée, c’est surtout une évolution des préférences pour certaines viandes que constate Nicolas Rouault : « La consommation bovine s’érode depuis plus de dix ans. Le porc, qui était la première viande consommée par les Français, est en baisse. La volaille est maintenant en haut du podium. C’est moins cher, avec une diversité de produits comme le poulet pané ou mariné. Les gens préfèrent. » Tout comme l’ingénieur agroéconomiste, l’éleveur Pierre Sanson observe un désintérêt pour certaines espèces. « Le poulet et le bœuf ça fonctionne encore, mais le veau et l’agneau ça ne cesse de dégringoler », regrette-t-il.
Selon ce dernier, il est crucial que les éleveurs diversifient leurs pratiques s’ils veulent rester rentables, avec la culture des céréales par exemple. Une autre raison de s’inquiéter à ses yeux : « Les normes de bien-être animal, les conditions de travail et les ventes à pertes, qui découragent les éleveurs à perpétuer leur profession. » Jérôme partage cet avis : l’alimentation s’est diversifiée et s’oriente vers le tout-prêt. « Mon troupeau s’est bien amoindri en vingt ans. Je ne pense pas qu’on reviendra à une forte consommation de viande », estime l’éleveur bovin.
Manger moins mais mieux
« C’est plus coûteux d’acheter de la viande locale que produite sur un autre continent, c’est quand même fou ! », déplore le boucher, qui observe de près les prix des grandes surfaces et les compare avec ceux des producteurs locaux. En effet, la question du « manger moins mais mieux » est primordiale pour la nouvelle clientèle. 79 % des sondés de l’étude de Harris Interactive souhaitent une meilleure rémunération des éleveurs et 77 % plaident pour soutenir l’élevage durable et limiter les importations. « Aujourd’hui, les gens veulent de la bonne viande, de chez eux, quitte à en manger moins », remarque Pierre Sanson.
D’après lui, le pays ne mise pas assez sur les circuits courts et ne favorise pas ses agriculteurs. « Si l’on fermait les frontières, on serait déficitaires en viande dans le pays, tant il manque d’éleveurs », juge-t-il. Entre élevages sans reprise par la nouvelle génération et filière biologique coûteuse, la viande française se raréfie. « Aujourd’hui les éleveurs tentent de s’adapter en misant sur le bien-être animal et l’environnement de l’exploitation. Il y a une vraie dynamique d’amélioration », constate l’agroéconomiste Nicolas Rouault. Pas de réelle inquiétude non plus pour le commerçant Jérôme : « Les gens mangeront toujours de la viande, il suffit de savoir se renouveler ! »
Source : Lire Plus