
« Maison de 4 pièces de 539 m² idéalement située. » L’offre, chiffrée à 362 500 euros, est en ligne sur le site leboncoin.fr. Une maison qui est en réalité… une église. « L’évêque a fait ce choix après consultation des paroissiens, explique au JDD le diocèse d’Arras, qui a pris cette décision. Les églises sont construites pour rassembler les catholiques et lorsqu’il n’y a plus de fidèles ni d’offices religieux, elle perd son utilité pastorale. » Une justification que partage la Conférence des évêques de France : « C’est triste mais ça ne me choque pas, réagit à son tour Monseigneur Planet, chargé des États généraux du patrimoine religieux qui se sont tenus en 2024. Lorsqu’il n’y a plus de communauté, l’église n’a plus d’utilité. » Le diocèse précise : la vente impliquera nécessairement une désacralisation et l’acquéreur s’engagera à « ne pas utiliser l’immeuble de manière contraire aux bonnes mœurs ».
Publicité
La suite après cette publicité
« Il y a un attachement viscéral qui témoigne d’une nature particulière de ces édifices »
Le diocèse peut déclencher cette mise en vente parce qu’il est propriétaire de cette église, ce qui n’est pas le cas pour la majorité d’entre elles. En effet, la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905 a fait des biens du clergé des propriétés communales. Les communes sont propriétaires de 40 000 églises construites avant 1905, mais elles restent destinées au culte de manière « gratuite, exclusive et perpétuelle ». Or c’est bien le propriétaire qui a la charge de l’entretien : et si l’Église peine avec ses biens délaissés, les pouvoirs publics ont le même problème. « Notre commune doit entretenir à elle seule dix édifices religieux, dont une basilique », confie Jean-Sébastien Orcibal, maire de Villefranche-de-Rouergue, dans l’Aveyron. Au-delà du coût financier, la baisse de la fréquentation aggrave le problème. Car « une église fermée, c’est une église qui se démolit », décrypte Mgr Planet.
Pourtant, cette désertification n’empêche pas l’attachement. « On remarque un paradoxe chez des habitants qui ne mettent plus les pieds à l’église, mais qui se battent pour la garder », explique Benoît de Sagazan, directeur de l’Institut pèlerin du patrimoine. Ces églises ont en effet vu naître et mourir des générations entières et sont chargées de l’histoire de ces familles. « Ce n’est pas un bâtiment comme un autre », renchérit le prêtre aveyronnais Florent Dixneuf. Il se souvient de l’époque où la mairie convoitait l’une de ses églises pour la transformer en cinéma : « J’ai été très surpris du refus catégorique des habitants, alors même qu’ils ne pratiquent plus depuis des années ! Il y a un attachement viscéral qui témoigne d’une nature particulière de ces édifices. »
Benoît de Sagazan remarque lui aussi un fort sentiment d’appartenance, parfois même inconscient. Il faut dire que ces églises ont traversé le temps grâce aux contributions de tous : « Historiquement, les fidèles ont toujours participé financièrement à l’entretien des églises, explique-t-il. C’est ce sentiment de propriété collective qui est touché lorsqu’une église risque d’être désacralisée ou vendue. » C’est pourquoi il exhorte les communes à s’engager pour leur préservation, afin qu’elles gardent leur mission première. « La pratique religieuse baisse. Mais il n’y a qu’à regarder les cahiers d’intentions qui sont mis à disposition dans les églises, et qui sont noircis ! Ils sont la preuve du passage des habitants, de leur dévotion. Ces lieux de silence sont nécessaires dans notre société et contribuent à la salubrité mentale des habitants. »
Mais pour que ces lieux soient restaurés, il faut qu’ils vivent. Certains se réunissent donc dans leurs petits clochers ruraux pour y prier – comme les membres de l’association des Priants des Campagnes –, afin de les maintenir comme lieux de culte. D’autres ont trouvé dans la vie culturelle un remède. Le culte prime évidemment, mais des propositions culturelles peuvent être faites, pourvu qu’elles n’entrent pas en contradiction avec la vocation du lieu – ce qui est parfois le cas. « On parlera d’usage compatible, plutôt que partagé », explique Bertrand de Feydeau, vice-président de la Fondation du patrimoine. C’est pourquoi cette dernière a créé un prix Sésame pour récompenser de telles initiatives. « Nous souhaitons soutenir les habitants avec une somme de 20 000 euros, mais surtout mettre en lumière leurs initiatives pour inspirer d’autres communes. »
La suite après cette publicité
L’église Saint-Joseph, à Villefranche-de-Rouergue, est un exemple : elle a rouvert ses portes en 2019, après vingt-cinq ans de fermeture grâce à l’association Cap Solidarité. Désormais, les visiteurs peuvent admirer l’exposition d’une maquette d’un village aveyronnais et de sa crèche. Et la paroisse, qui a donné son accord, y propose désormais deux messes annuelles ! Une redynamisation, même timide, qui a permis un investissement financier de la part de la commune et de l’association.
Cet « usage compatible » serait-il une solution ? « Sûrement », répond Mgr Planet. Mais il tient à mettre les Français en garde : « Il sera difficile de sauver toutes les églises sans l’action de tous ceux qui souhaitent les sauver… » Gabriel, diacre permanent dans un diocèse rural, se veut plus optimiste : « Il faut mettre en parallèle ces églises qui se vident avec les demandes de baptêmes d’adultes qui ne cessent d’augmenter. Abandonner une église aujourd’hui, c’est perdre l’espérance dans les générations futures. » Pour encourager le sauvetage des églises, il n’a qu’une question : « Qu’aurons-nous à léguer à nos petits-enfants, s’ils veulent aller prier demain ? »
Source : Lire Plus