Couchés sur le trottoir, face au buste de Reagan, sur l’avenue Ujazdow, près de l’ambassade des États-Unis, à Varsovie, des sacs mortuaires en plastique et cette inscription : « No war ! » Il n’y a quasiment aucune ville en Pologne qui n’ait pas son square ou sa rue Ronald-Reagan, considéré, avec Jean-Paul II, comme le héros de la fin du communisme. Plus loin, une autre affiche : « Soldats américains, partez ! » Ils sont 10 000 sur le sol polonais. Et c’est peu de dire que la Pologne, avec ses 4,7 % de budget consacré à la défense, est le meilleur élève de l’Otan. La campagne présidentielle et l’arrivée d’un chef d’État américain disposé à parler avec la Russie, l’ennemi ancestral de Varsovie, sont en train de révéler un visage de la Pologne jusqu’ici inconnu. Si le pays n’est pas devenu pro-Russe, les Polonais parlent désormais sans complexe de la lassitude qu’ils ressentent après trois années de conflit à leur frontière orientale. Parmi les candidats, Slawomir Mentzen, député de la Diète de Nouvel espoir, est en train de briser un tabou… Et de monter en flèche dans les sondages.
À 38 ans, Mentzen, est un peu le « malutki Trump », le « petit Trump », de l’élection. Businessman – ancien agent de change, il a fondé une marque de bière et une chaîne de bars –, il y a, chez le candidat désigné par la formation populiste Konfederacja, aussi un peu d’Elon Musk. Diagnostiqué Asperger, Mentzen est à l’aise en public, moins en face-à-face. Ses rassemblements, sur les places des villages et petites villes de Pologne, attirent un nombre considérable de fans. Spécialement des jeunes.
Ce samedi 8 mars, à Koscian, au sud de Poznan, la grande ville libérale de l’Ouest, la place du marché est noire de monde pour accueillir le héros de cette droite qui ringardise chaque jour un peu le PiS, le parti conservateur du président sortant, Andrzej Duda, à la tête de l’État depuis dix ans. Piotr Turczynski, la trentaine, est venu avec des amis écouter Mentzen. Leur inquiétude est surtout liée à l’immigration. Partout, l’exemple de la « submersion en France et en Grande-Bretagne » est cité. Mais on parle aussi du changement de cap de la Maison-Blanche, vécu comme un coup de couteau dans le dos mais aussi comme une opportunité. « Trump est pro-américain, il pense aux intérêts de son pays. Mentzen est pour la Pologne d’abord. Je ne vois pas de problème », assure Piotr. Oui, Mentzen a dit qu’il faudra parler à Poutine pour obtenir un accord… « Ça paraît logique pour mettre fin à la guerre ! » renchérit Pawel Malicki. « Nous avons donné assez d’argent et d’armes, de manière désintéressée. Assez, c’est assez ! » rebondit Robert Medlewski.
Mentzen dépoussière la classe politique
Sur le Rynek, Mentzen arrive enfin. Les haut-parleurs crachent les mêmes tubes que lors de la campagne de Trump, dont Rockin’in the Free World de Neil Young. Distribution de casquettes, de drapeaux rouge et blanc et de pancartes lançant les slogans : « C’est comme ça que nous voulons vivre ! » ou « Une Pologne riche et forte ! »
Parmi les fans, Roksana, Lukasz et Dominik, 18 ans, n’ont connu dans leur vie que le PiS de Jaroslaw Kaczynski et la Plateforme citoyenne de Donald Tusk, actuel Premier ministre. Avec ses vidéos TikTok, ses meetings millimétrés, son indéniable présence (il parle sans notes, interpelle la foule), Mentzen semble dépoussiérer la classe politique. Roksana s’enthousiasme : « Enfin quelqu’un qui parle pour nous ! » Zosia, 25 ans, est une admiratrice : « On dit que Mentzen est contre les femmes. Moi, je m’en fiche. Il veut nous rendre riches, et si je gagne plus je pourrai mieux élever mes enfants. » Sur l’Ukraine, cette employée de la mairie de Poznan répète un refrain entendu dans la bouche de J. D. Vance : « Nous n’avons rien contre eux, mais franchement ils ne nous témoignent pas beaucoup de gratitude. »
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Les médias n’ont pas tardé à voir en Mentzen un agent des Russes
Le sermon adressé par le vice-président américain à Zelensky n’a étrangement pas été aussi critiqué en Pologne qu’il ne l’a été en France. À la Maison-Blanche, le président ukrainien a commis l’impair de dire qu’au début du conflit, son pays « avait été seul »… « C’est faux. On a été là. On a même importé leur blé, au détriment de nos propres agriculteurs », résume Zosia. Le pays a aussi en mémoire les massacres de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne, entre 1942 et 1944, en Volhynie, où plus de 100 000 Polonais furent tués dans des circonstances abominables. La présence de statues, notamment à Lviv, ancienne ville polonaise, à la gloire de Stepan Bandera, collaborateur des nazis, ne passe pas.
Comme en Roumanie, avec Calin Georgescu [dont la candidature a été annulée cette semaine, NDLR], les médias et les politiques n’ont pas tardé à voir en Mentzen un agent des Russes. Anna Brylka, députée européenne de Konfederacja, n’a pas l’air étonné. « Les partis traditionnels ont peur de nous, de notre force, notamment sur les réseaux sociaux, et de notre popularité auprès de la jeune génération. Alors, ils nous disent que nous sommes pro-Poutine… C’est de la propagande ! » explique-t-elle au JDD.
« On sait ce que fut l’URSS ! Mais nous avons accueilli plus d’un million d’Ukrainiens sur notre sol, leur accordant des privilèges comme des logements, que beaucoup de Polonais n’ont pas. » À Varsovie, les loyers sont inabordables pour le commun des mortels et la vision, parfois exagérée, de réfugiés ukrainiens roulant dans des SUV flambant neufs a créé en trois ans une sorte de ressentiment. Les supporters de Mentzen n’imaginent pourtant pas un instant que leur champion puisse connaître le sort de Georgescu. « Les Polonais sont trop souverainistes, trop indépendants pour se laisser faire », jure Brylka.
Un PiS à bout de souffle
À droite, le principal rival est Karol Nawrocki, professeur d’histoire et ancien boxeur de 42 ans, d’où son surnom de « NowRocky [Balboa, NDLR] ». Quasi inconnu il y a quelques mois, il a la tâche de représenter un PiS à bout de souffle. En meeting à Wieruszów, petite ville de 8 000 habitants de la Voïvodie de Lodz, Nawrocki a du mal à remplir la salle de la maison de la culture, un bâtiment sinistre hérité du communisme. Daniel Wiszowaty, du comité de soutien à Nawrocki, est conscient que le parti a vieilli : « Il faudra faire un rebranding lors de notre congrès cet été. Et il est sans doute temps pour Kaczyński, à 75 ans, de prendre sa retraite. »
Pas de drapeau européen sur scène, mais des phrases chocs
Nawrocki, qui se présente comme un « président citoyen », tient un discours musclé, parfois difficile à différencier de celui de Mentzen, qui le talonne dans les sondages. Aucun drapeau européen sur scène, et des phrases chocs contre la « tragédie du multiculturalisme » ou « l’écoterrorisme qui se répand jusque dans les écoles ». Même les séances de selfies, minutées afin que chaque participant reparte avec sa photo, ressemblent à celles de Mentzen. Compatible également avec Trump, Nawrocki ne veut pas entendre parler de l’Ukraine dans l’Union européenne tant que Kiev n’aurait pas reconnu ses crimes pendant la Seconde Guerre mondiale.
De loin, la Plateforme citoyenne, avec son candidat – en tête des sondages – Rafal Trzaskowski, maire de Varsovie, représentant l’élite europhile, parfaitement francophile et bobo du pays, n’a pas l’air de s’inquiéter. Pourtant, le parti veut muscler encore davantage sa défense. Tusk a annoncé son intention de quitter le traité sur l’interdiction des mines antipersonnel pour en placer à la frontière avec la Biélorussie, par laquelle transitent aujourd’hui beaucoup de migrants, et souhaite instaurer une formation militaire pour les hommes. Tout ce que les jeunes craignent, donnant à Mentzen encore plus de crédit auprès de ce segment de l’électorat qui redoute plus que tout un conflit avec la Russie.
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