Port-la-Nouvelle, en bord de mer, loin de l’image de carte postale des stations balnéaires méditerranéennes. Les 6 000 habitants de cette commune située à 30 kilomètres au sud de Narbonne cohabitent avec le troisième port français de Méditerranée. Ici, malgré la proximité du littoral, ce sont bien les cuves et les infrastructures industrielles qui dominent le paysage. Au cœur de ce port industriel en pleine expansion, une nouvelle usine sort de terre : Hyd’Occ.
Propriété de la société Qair et de la région Occitanie, cette unité de production d’hydrogène vert veut relever un défi de taille : devenir la plus grosse unité de production de France. « L’hydrogène sera produit par un processus d’électrolyse de l’eau grâce à de l’électricité renouvelable et sortira de l’usine sous forme gazeuse par camions », explique Jean-Sébastien Lasbouygues, directeur opérationnel de Qair. Initialement prévu pour fin 2024, le chantier a connu de nombreux retards. « Forcément, quand vous réalisez un projet aussi ambitieux et novateur, il y a des imprévus et des technologies qui évoluent », tempère Jean-Sébastien Lasbouygues.
Avancée à 65 %, l’usine devrait être en mesure de produire, à la fin 2025, 3 000 tonnes d’hydrogène par an, puis 6 000 à l’échéance 2028. À titre de comparaison, l’usine la plus importante aujourd’hui en fonctionnement en France produit 575 tonnes par an.
L’hostilité des écologistes
Construite stratégiquement au cœur du troisième port français en Méditerranée, qui mène actuellement des travaux d’envergure pour devenir le premier port de la transition énergétique de France, Hyd’Occ essuie les plâtres. Depuis sa présentation en 2018, le projet fait couler beaucoup d’encre dans la région. Une « aberration » pour Albert Cormary, membre du collectif Balance ton port et du groupe local d’Europe Écologie-Les Verts : « On prend de l’électricité pour faire de l’hydrogène qui va faire de l’électricité. Quand on parle d’efficacité énergétique, est-ce que c’est le plus optimal ? J’ai des doutes. »
Pas question d’exporter l’hydrogène produit sur place
Lors de l’enquête publique en 2022, quatre associations environnementales se sont opposées à la construction de l’usine. En cause notamment, l’approvisionnement en eau et en électricité nécessaire au fonctionnement des électrolyseurs. « Nous aurons besoin de 20 mégawatts pour faire fonctionner nos électrolyseurs, qui proviendront uniquement d’une production d’énergie renouvelable », assure Jean-Sébastien Lasbouygues. Au large de Port-la-Nouvelle, l’entreprise installe trois immenses éoliennes flottantes, destinées à produire près de 110 millions de kWh/an, mais leurs mise à l’eau n’est prévue que pour la fin d’année 2025.
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La question de l’eau
« L’usine va fonctionner sur le réseau électrique, je ne vois pas où est la manière propre de produire l’hydrogène […] c’est un mensonge », fulmine Albert Comary. Une affirmation que Qair dément avec fermeté : « Nous avons signé un partenariat avec la société Trig, qui possède des parcs éoliens dans la région, pour être certain qu’Hyd’Occ soit approvisionnée en énergie renouvelable dès sa mise en service. »
« À terme, notre objectif sera de produire une quantité au moins équivalente, voire légèrement supérieure, à notre consommation », abonde Jean-Sébastien Lasbouygues. Autre ressource nécessaire au fonctionnement des électrolyseurs : l’eau, un bien en tension dans ce département fortement touché par la sécheresse. « Notre besoin en eau est d’à peu près 80 000 m3 par an avec un approvisionnement raisonné puisqu’il s’agira d’eaux usées », explique Jean-Sébastien Lasbouygues. « Notre philosophie est de produire de l’énergie qui soit renouvelable et locale », insiste l’entreprise fondée en Occitanie et basée à Montpellier. Dans cette logique, pas question d’exporter l’hydrogène produit sur place. L’entreprise réserve son hydrogène vert à la mobilité lourde d’Occitanie – bus, camions et bateaux – dans un rayon de 200 km maximum.
Mais le point qui nourrit le plus les crispations est le risque industriel. « L’hydrogène, ça pète, les ballons gonflables nous l’ont appris », prévient Maryse Arditi, docteur en physique nucléaire et ancienne présidente de l’Ineris (Institut national de l’environnement industriel et des risques). « C’est très léger et ça fuit, c’est difficile d’empêcher la fuite d’hydrogène. Il faut faire attention à la manière dont on le manipule », argumente cette pionnière de l’énergie solaire qui a donné un avis défavorable au projet avec son association environnementale Eccla. Pour elle, les dangers éventuels liés au stockage et au transfert de l’hydrogène sont particulièrement inquiétants d’autant que ce site est entouré de quatre usines classées Seveso. « Nous avons pris toutes les mesures nécessaires et suffisantes afin d’obtenir les autorisations pour exploiter notre usine », se justifie Qair, dont l’étude de danger a été validée en 2022 par l’Ineris. « Validée après quatre allers-retours de mise au point, précise Maryse Arditi. Et que l’Ineris renvoie plusieurs fois une étude de danger pour compléments, je n’ai jamais vu cela. Ce n’est pas normal. Qair est spécialisé dans l’énergie renouvelable, pas le risque industriel. »
Pas d’effet domino
L’entreprise montpelliéraine retoque ses accusations et affirme avoir pris en compte toutes les recommandations : « Nous avons notamment positionné nos bâtiments d’électrolyse à des endroits bien spécifiques sur notre terrain. En cas de problème dans notre unité de production, il n’y aura pas d’effet domino sur nos voisins. »
« Il n’y a aucun risque de pollution des sols, de l’air et de l’eau »
L’usine, qui côtoie la réserve naturelle régionale de Sainte-Lucie, abri de plusieurs espèces protégées et qui voit passer à quelques centaines de mètres le canal de la Robine, classé au patrimoine mondial de l’Unesco, veut rassurer : « Nous faisons les choses avec soin et précision. Il n’y a aucun risque de pollution des sols, de l’air et de l’eau. Nous sommes énergéticiens et nous portons ce projet pionnier et ambitieux qui contribue à la réindustrialisation du pays. Nous devrions être fiers », conclut Jean-Sébastien Lasbouygues.
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