
Interrogé sur la menace russe, le ministre de la Justice Gérald Darmanin a jugé qu’elle se confondait parfois avec la menace… terroriste : « Ceux qui assassinent Samuel Paty, c’est qui ? […] Ils sont fichés S, radicalisés, islamistes, ils sont russes et la Russie ne les reprend pas. » Le lendemain, il réitérait en évoquant également Dominique Bernard ; rejoint par la porte-parole du gouvernement Sophie Primas. Des propos qui ont fait réagir Mickaëlle Paty, exaspérée que l’attentat contre son frère puisse « servir les intérêts de la politique étrangère ou politicienne du gouvernement ».
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« C’est l’État français qui a refusé de l’expulser »
L’assassin de son frère avait été accueilli au titre du droit d’asile – malgré un refus de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) – et aucun laissez-passer consulaire (LPC) n’avait donc été demandé : « Rien, durant l’enquête, n’a permis de faire le moindre lien entre le terroriste Anzorov, réfugié en France, et la Russie. » Non plus que dans le cas de Dominique Bernard, insiste-t-elle : « C’est l’État français qui a refusé, sous la pression de militants de gauche, d’expulser la famille du terroriste qui a tué Dominique Bernard. » Exact : en 2014, la famille Mogouchkov devait être expulsée, après avoir été déboutée du droit d’asile, avant qu’un collectif d’associations fasse plier le gouvernement. Des années plus tard, le terroriste lui-même avait été signalé, mais Gérald Darmanin reconnaissait que ce n’était « pas assez fort pour obtenir l’éloignement » dans le cadre de la loi, qu’il a par la suite fait évoluer pour cette raison.
Mais plus généralement, le ministre de la Justice contredit le ministre de l’Intérieur qu’il était quelques mois plus tôt et qui pointait les entraves juridiques françaises plutôt que la Russie. En octobre 2023, il répondait au JDD : « Depuis que je suis ministre de l’Intérieur, on a expulsé 38 personnes de nationalité russe […] qui étaient particulièrement signalées, et pour lesquelles nous avons systématiquement obtenu ces LPC. » Et ce, malgré l’invasion de l’Ukraine : « Le président de la République m’a donné son accord pour reprendre ces discussions avec la Russie dans ce domaine. Dans le cas précis de l’assaillant d’Arras, j’aurais eu de fortes chances d’obtenir le LPC nécessaire si la loi me l’avait autorisé. » La loi française, donc. Gérald Darmanin allait même plus loin, pointant la CEDH : « Nous sommes condamnés par la CEDH parce que j’ai renvoyé des ressortissants russes, tchétchènes, dans leur pays, nous le faisons quand même, la protection des Français l’emporte sur ces règles-là. » Preuve, donc, que la Russie ne le refusait pas.
L’entourage du ministre défend le propos, assurant que la Russie ne collabore plus aujourd’hui. « Les Russes refusent de délivrer des LPC pour le moment, en les conditionnant à des extraditions judiciaires », confirme une source au ministère de l’Intérieur, qui n’évoque pas les tensions diplomatiques actuelles. Il n’y a plus que quelques retours volontaires, d’autant qu’« il n’y a plus de vols directs, poursuit la source, pas de possibilité d’envoyer des escortes et des annulations contentieuses au titre de l’article 3 de la CEDH ». Et revoilà notre arsenal juridique dénoncé hier par Gérald Darmanin : cet article interdit le renvoi des personnes dans des pays où ils risquent des « peines et traitements inhumains ou dégradants ».
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