Le JDD. Votre étude met en lumière un déficit commercial persistant pour l’économie française, qui signifie que la France importe beaucoup plus de biens qu’elle n’en exporte. Comment l’expliquez-vous ?
Agnès Verdier-Molinié. En 2023, la France affiche le pire déficit commercial de la zone euro, juste en dessous des cent milliards d’euros. Un peu en baisse mais surtout en raison du recul du déficit énergétique. Ce niveau de déficit commercial est de loin supérieur à celui des autres pays de la zone euro. Même en excluant le déficit commercial lié à l’énergie, la France reste parmi les pays les plus déficitaires.
Quels secteurs souffrent le plus du déficit commercial ?
On constate un déficit commercial chronique ces dernières années dans l’automobile, les machines-outils et l’électronique-informatique, alors que ce n’est pas du tout le cas en Allemagne et en Italie, par exemple. L’Allemagne, en particulier, n’est déficitaire que dans le textile-habillement et reste excédentaire dans les autres secteurs. En revanche, la France affiche heureusement un excédent commercial dans l’aéronautique, la pharmacie et la chimie-plastique, ainsi que dans le luxe. Toutefois, l’excédent du secteur du luxe, y compris les vins et spiritueux, pourrait être fragilisé par les tensions actuelles avec la Chine et les États-Unis.
Ce déficit est en légère amélioration en 2024, mais reste bien au-dessus des niveaux d’avant la crise de 2008. Pendant que d’autres pays européens, comme l’Allemagne ou l’Italie, affichent des excédents, la France creuse son déficit. Comment peut-elle retrouver un excédent durable ?
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Notre étude montre que la part des exportations de marchandises de la France dans le monde est extrêmement faible. Elle est inférieure à 3 %, contre 5 % pour l’Allemagne, 8,5 % pour les États-Unis et 14 % pour la Chine. Cette faiblesse est un sujet de préoccupation, et il est urgent d’améliorer la compétitivité de nos entreprises industrielles. Par ailleurs, la balance commerciale de l’agriculture et de l’agroalimentaire, historiquement excédentaire, est en baisse ces dernières années. Ça doit devenir un point majeur de préoccupation.
De quels pays dépendons-nous le plus ?
La balance commerciale de la France est négative avec la Chine et avec de nombreux pays européens. En revanche, avec les États-Unis, l’excédent, qui était traditionnellement d’environ 10 milliards tous les ans, monte grâce aux exportations de produits de luxe (LVMH, Chanel, Hermès), d’aéronautique (Airbus), de produits pharmaceutiques et agroalimentaires (vins et spiritueux). La balance commerciale avec les États-Unis est donc favorable à la France, tout comme avec le Royaume-Uni. À l’inverse, notre déficit commercial atteint -58 milliards avec la Chine, -38 milliards avec l’Allemagne, -21 milliards avec les Pays-Bas, -14 milliards avec l’Italie et -10 milliards avec la Belgique. Ce sont les principaux pays avec lesquels la France enregistre un déficit commercial significatif, ce qui signifie que nous en importons beaucoup plus que nous n’y exportons.
Une fiscalité du capital plus favorable encouragerait l’investissement des entreprises et des ménages dans l’économie
Dans quel secteur les entreprises françaises n’investissent-elles pas assez ?
Dans les secteurs nécessitant une main-d’œuvre hautement qualifiée, une de nos études a comparé le niveau des charges sur les hauts salaires entre la France et l’Allemagne. Il en ressort qu’au-delà de trois Smic, les employeurs français supportent 24 milliards d’euros de charges supplémentaires par rapport à leurs homologues allemands, un écart gigantesque. Nous favorisons trop en France les embauches à bas salaire en reportant la charge sur les emplois qualifiés ce qui pénalise l’industriel. Tous les secteurs industriels à forte valeur ajoutée, où l’emploi de main-d’œuvre très qualifiée (et donc mieux rémunérée), sont donc pénalisés par notre modèle social. Sans compter les taxes de production ultra-chères en France et la fiscalité du capital plus élevée qu’ailleurs en Europe. Nous sommes donc plus chers à l’export. Cela n’incite pas nos industriels à investir en France, au contraire. Ils sont plus incités aujourd’hui à investir aux États-Unis voire même en Italie…
Quelles mesures urgentes propose l’Ifrap pour inverser la tendance ?
Il est impératif d’alléger les taxes de production, qui pèsent particulièrement sur les entreprises industrielles. Nos entreprises notamment industrielles subissent des écarts de prélèvements considérables entre la France et l’Allemagne, ainsi qu’avec la moyenne de la zone euro. En effet, les entreprises tricolores supportent 157 milliards d’euros de prélèvements obligatoires supplémentaires, dont 102 milliards liés aux cotisations sociales et une cinquantaine de milliards aux taxes de production. Il serait nécessaire de plafonner aussi les charges sur les hauts salaires, comme cela existait auparavant, avec un plafond fixé par exemple à deux fois le plafond de la Sécurité sociale. Au-delà, il n’y aurait plus de cotisations pour la retraite, la maladie, la famille et le chômage. Enfin, une fiscalité du capital plus favorable encouragerait l’investissement des entreprises et des ménages dans l’économie. Pour être dans la moyenne de la zone euro, il faudrait baisser la fiscalité du capital qui pèse sur les entreprises et les ménages qui investissent dans les entreprises de 67 milliards d’euros par an.
Ajoutons à cela la nécessité d’alléger les normes qui pèsent spécialement en France sur nos entreprises autour de 80 milliards d’euros par an. Certaines sont à supprimer tout de suite comme le Zéro artificialisation nette (ZAN) qui bloque les implantations d’usines par exemple. D’autres, comme la date de 2035 pour l’interdiction des véhicules thermiques neufs, sont aussi à supprimer au niveau européen si l’on veut sauver notre industrie automobile. Quoi qu’il en soit, il est plus que temps de se réveiller. Notre déficit commercial abyssal n’est que le reflet de notre désindustrialisation et de notre manque de compétitivité lié à un « modèle » social beaucoup trop cher.
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