L’article 8 ter de la proposition de loi sur le narcotrafic, examinée dès demain à l’Assemblée, a été supprimé en commission des lois. Or il devait permettre de contraindre les applications de messageries chiffrées à collaborer avec le renseignement intérieur. Céline Berthon parle d’un « besoin vital » et appelle les députés à le rétablir.
Le JDD. En quoi l’article 8 ter de la PPL sur le narcotrafic est nécessaire au travail de la DGSI ?
Céline Berthon. Le constat que nous faisons, nous, services de renseignement, en lien avec les services judiciaires, c’est que les objectifs sur lesquels nous travaillons pour prévenir le terrorisme utilisent de plus en plus des applications de messageries chiffrées. Alors que nous utilisions jusqu’à aujourd’hui des outils d’interception téléphonique, inscrits dans la loi depuis 1991, en coopérant avec les opérateurs traditionnels de téléphonie, les messageries chiffrées rendent ces méthodes obsolètes. Très concrètement, nous sommes aveugles sur le contenu des conversations de nos cibles. Et l’article 8 ter répond donc à cette évolution technologique des dernières années, en ouvrant la possibilité de nous faire communiquer ces conversations de manière ciblée, encadrée et limitée dans le temps.
Il s’agit pourtant d’une loi sur le narcotrafic, et non sur le terrorisme…
Nous aurions pu dédier un autre vecteur législatif au renseignement, mais ce n’est pas ce qui a été choisi dans le contexte parlementaire actuel. Mais la proposition de loi sur le narcotrafic permet d’édifier un cadre réglementaire légal, nous donnant la possibilité d’adopter cet outil technique indispensable à notre travail.
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Vous parlez d’un recours encadré, dans quels cas de figure pourriez-vous vous en servir ?
Cette mesure ne pourra s’appliquer qu’à des personnes nommément désignées, sur décision du Premier ministre, après avis de la Commission nationale du contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Nous utiliserons les mêmes critères que ceux qui sont utilisés aujourd’hui pour les écoutes téléphoniques : des individus qui présentent une menace, car susceptibles de préparer une action violente. Soyons très clairs à ce propos : il ne s’agit absolument pas de surveillance généralisée.
« Narcotrafic et terrorisme, les premières menaces »
Cette mesure pourrait-elle s’appliquer à certaines mouvances, comme l’écologie radicale ou les milieux d’ultradroite ?
Nous souhaitons nous faire communiquer des échanges téléphoniques pour lutter contre le terrorisme et le narcotrafic. La CNCTR s’assure toujours du cadre légal et du caractère proportionné de nos demandes. C’est sur ces deux menaces que nous voulons concentrer nos efforts, à l’aide de l’article 8 ter.
Est-ce que les plateformes de messagerie chiffrée accèdent parfois à vos demandes, sans passer par la contrainte législative ?
En matière de renseignement, les applications comme Signal, WhatsApp ou Telegram, pour ne citer qu’elles, ne coopèrent jamais sur l’accès aux contenus. C’est pour cette raison que la mise en place d’un cadre légal contraignant est porteuse d’espoir. Nous ne souhaitons pas aller à la sanction mais comptons sur une stratégie de dissuasion afin de coopérer avec les plateformes, de façon ciblée, encadrée et contrôlée par la CNCTR.
Ces applications font leur succès et tirent leur légitimité par la garantie d’un anonymat total des messages qui y sont échangés. Comprenez-vous leurs réticences ?
Le chiffrement des conversations est une bonne chose, et nous le soutenons à 100 % ! Mais rien ne doit permettre aux gens d’enfreindre la loi ou de mettre en danger les citoyens. Nous voulons éviter que ces plateformes se mettent, de fait, dans une situation de complicité avec des personnes qui se positionnent hors la loi.
Être à armes égales avec les terroristes et les narcotrafiquants en substance ?
Oui, à une nuance près. Nos armes à nous sont légales, encadrées et contrôlées, ce qui les rend autrement plus nobles. Je crois personnellement dans la pertinence d’un renseignement encadré par la loi, c’est une chance que nous avons. On attend beaucoup, et légitimement, des services de renseignement. Si on veut leur permettre de faire correctement leur mission, il ne faut pas négliger l’évolution d’un certain nombre de leurs capacités d’action.
Comprenez-vous malgré tout les inquiétudes sur ce qui peut être perçu comme un mouvement de restriction des libertés publiques ?
Je les comprends. Je trouve sain que des débats aient lieu dans une démocratie mais je regrette une mauvaise compréhension de ces enjeux. Je pense aussi que certains acteurs qui s’opposent à cet outil font preuve d’une mauvaise foi et portent une logique idéologique. On ne peut accepter de s’arrêter à l’idéologie alors que des vies de citoyens français sont en jeu. Notre rôle, avant tout, est d’empêcher la commission d’actes terroristes dans notre pays et de préserver notre démocratie des ravages du narcotrafic.
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