À l’hôpital Cochin, une vingtaine de personnes travaillent d’arrache-pied sur un projet fascinant : un microrobot « de la taille d’un grain de riz » qui devrait bouleverser le monde de la neurochirurgie. Selon Bertrand Duplat et Joana Cartocci, les cofondateurs de Robeauté – une jeune pousse hébergée dans la pépinière Paris Biotech Santé –, cet outil révolutionnaire transforme profondément les interventions chirurgicales du cerveau humain.
Tout commence il y a plus de dix ans, lorsque Bertrand assiste, impuissant, au diagnostic lourd et sans appel de sa mère : cancer du cerveau – un glioblastome. Pour ce type de maladie, les médecins peuvent opérer, certes, mais de façon extrêmement invasive : « Il faut réaliser trois trous, de 1,5-2 centimètres chacun, afin de scier la boîte crânienne entre chacun, et ainsi résecter la tumeur, et uniquement sur trajectoire droite avec une aiguille chirurgicale », explique le chercheur. De fait, pour soigner une neuropathologie aujourd’hui, deux solutions existent : une chirurgie invasive ou bien la prise de médicaments. Pour les seconds, les traitements ont du mal à passer la barrière hémato-encéphalique, peu perméable, qui bloque le passage des médicaments, les rendant inefficaces, en plus de se diluer dans le corps : « Les traitements pas assez ciblés et les dosages sont assez approximatifs », résume Joana Cartocci.
Comme dans Le Voyage fantastique, le film de Richard Fleischer, le chercheur Bernard Duplat a l’idée d’utiliser un robot miniature, capable de se déplacer dans le cerveau pour pallier l’inefficacité des médicaments. Dans cet espace de quelques millimètres se loge un micromoteur, un propulseur et un dispositif de guidage et de localisation. Immense nouveauté : le robot peut se mouvoir où le veut précisément le chirurgien. Oubliée, la ligne droite, invasive – de la forme d’une aiguille – des outils actuels. Le neurochirurgien pourra en amont déterminer la trajectoire souhaitée. La géolocalisation permet de connaître sa présence au millimètre près une fois injecté dans le cerveau (grâce à un seul petit trou de 2 millimètres). Et le médecin peut reprendre la main sur son déplacement. Une révolution !
« La microchirurgie pour le cerveau n’a pas fait de bond depuis les années 1970, au moment où les IRM ont été mises en place. Nous sommes à l’aube d’une ère nouvelle », s’enthousiasme Joana Cartocci. Si les premiers robots pourront mieux diagnostiquer les cancers du cerveau et délivrer des thérapies ciblées, la volonté des ingénieurs est de développer, dans un second temps, les robots pour d’autres pathologies comme Alzheimer ou Parkinson… « On comptabilise des millions de personnes dans le monde touchées par des maladies neurodégénératives : notre robot est un espoir immense pour ces malades. »
La volonté des chercheurs est de développer ensuite les robots pour d’autres pathologies
Le neurochirurgien Arthur André, qui traite des pathologies du cerveau et de la colonne vertébrale, a été le premier médecin à rejoindre l’aventure : « Nous avons présenté notre projet aux États-Unis : les médecins sont tous en attente de cette nouveauté qui modifierait totalement l’approche des maladies neurologiques. » De fait, ces microrobots auront plusieurs vertus : récolter des données inédites grâce à leur agilité immense et ainsi faire progresser la science, soigner – en délivrant très exactement et au bon endroit la dose adéquate –, assurer un suivi de l’opération. Le microrobot sera à usage unique. Son prix ? Les fondateurs, prudents, ne veulent pour le moment avancer aucun chiffre. Tout au plus saura-t-on que, par rapport au marché des médicaments sur le cerveau, qui pèse 72 milliards d’euros, cette solution ne sera pas plus onéreuse : « Loin des 2 millions d’euros pour une seule injection du médicament le plus cher sur le marché, le Zolgensma », assurent les fondateurs. La start-up, qui a déposé plus de cinquante brevets et entamé plusieurs essais cliniques, vient de lever 27 millions d’euros de fonds européens. La mise sur le marché est envisagée à l’horizon 2029.
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Une prouesse technologique et technique que Joana Cartocci tient à replacer dans un contexte humaniste : « L’objectif de Robeauté est de soigner l’homme, non pas de chercher à l’augmenter ou de s’inscrire dans une logique transhumaniste. Comment vouloir aller sur Mars lorsque l’homme a besoin d’être réparé, accompagné et soigné ? »
Si Bertrand Duplat, le chercheur à l’origine du projet, est français, le reste de l’équipe, majoritairement composé de docteurs de la Sorbonne et d’autres établissements académiques de renom, est international. Qu’en est-il de la mise sur le marché ? « Nous butons sur une sorte de résistance européenne : notre robot, produit en France et en Europe, a un potentiel révolutionnaire. Notre continent est à la pointe en matière de créativité et d’innovation, mais derrière la volonté de souveraineté européenne, nous sommes confrontés à un manque de financement et une armada réglementaire qui freine la mise sur le marché européen », alerte Joana Cartocci, qui souligne l’importance de l’enjeu stratégique du domaine de l’innovation, ici, en Europe.
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