L’antisémitisme a ceci de commun avec la haine qu’il ne se laisse jamais terrasser : il sommeille, se métamorphose, trouve de nouveaux langages et d’autres bannières sous lesquelles se ranger. Jadis, il était l’apanage des pamphlétaires d’extrême droite, de Drumont à Céline. Aujourd’hui, il avance masqué derrière les oripeaux de la lutte sociale, du décolonialisme ou de l’antifascisme.
La dernière ignominie en date vient de La France Insoumise. Une affiche, publiée puis effacée, mais dont l’infamie persiste. Cyril Hanouna y apparaît sous un filtre noir et blanc, le regard durci, les sourcils froncés, ses traits exagérés jusqu’à la caricature. En légende : « Manifestations contre l’extrême droite, ses idées… et ses relais ! » Le message est limpide, il n’a pas besoin d’être décrypté : Hanouna, juif tunisien, y est représenté sous les traits du Juif honni, tel que la propagande antisémite le façonnait dans les années 30.
Rien, absolument rien, n’excuse un tel photomontage. Tout y est : la distorsion des traits pour suggérer la fourberie, le regard inquiétant, le sous-texte qui renvoie aux clichés d’antan. La technique est connue et odieuse. Minute l’avait employée avec Laurent Fabius dans les années 80, dans une campagne aussi abjecte qu’efficace. On la croyait reléguée aux marges de l’extrême droite. Elle ressurgit aujourd’hui dans les rangs d’un mouvement qui se proclame progressiste. Est-ce un lapsus révélateur ? Une erreur d’inconscient, ou bien un geste prémédité, assumé, dissimulé sous des justifications alambiquées ? Dans les deux cas, l’affaire est grave, car elle témoigne d’une dérive profonde.
Karl Marx lui-même, dans sa jeunesse, reprenait certains poncifs antisémites
On le dit peu, et pourtant l’histoire regorge de ces épisodes oubliés : il fut un temps où l’antisémitisme n’était pas cantonné aux ligues factieuses de l’Action Française. Il sévissait aussi à gauche (lire le dernier livre de Michel Onfray : L’autre collaboration, Plon, 2025). Karl Marx lui-même, dans sa jeunesse, reprenait certains poncifs antisémites ; Proudhon, dans son journal intime, en appelait à l’expulsion des Juifs ; les socialistes de la fin du XIXe siècle, englués dans une lecture simpliste de la lutte des classes, voyaient en Dreyfus le symbole d’une bourgeoisie à abattre. Heureusement, la gauche eut aussi ses Zola et ses Jaurès, ses figures de proue qui firent honneur à l’universalisme républicain et à la défense des opprimés, sans distinction d’origine ou de confession.
C’est à cette tradition que La France Insoumise aurait dû se rattacher. Mais non, elle a choisi la pente inverse, celle d’un antisémitisme qu’elle prétend ignorer, qu’elle nie farouchement mais qu’elle laisse prospérer en son sein. Le plus troublant, dans cette affaire, n’est pas tant la publication de cette affiche ignoble que la réaction qui s’en est suivie. Dans un parti attaché à la République, des excuses auraient fusé, une enquête interne aurait été diligentée, des sanctions auraient été prises. À LFI, on préfère esquiver, accuser ceux qui s’indignent, détourner le regard. Cette obstination dans le déni rappelle étrangement la dérive du Parti travailliste britannique sous Jeremy Corbyn, dont Jean-Luc Mélenchon était un fervent soutien. Là-bas, la gauche a su purger ses éléments antisémites, opérer un aggiornamento salutaire. Ici, rien de tel. LFI persiste et signe.
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Dès lors, la question se pose à ceux qui, à gauche, hésitent encore. Le Parti socialiste, après son dernier congrès, aura-t-il le courage de rompre définitivement avec LFI, comme le suggère Martine Aubry ? Les écologistes auront-ils cette lucidité ? Ou bien continueront-ils à fermer les yeux, à composer avec ceux qui foulent au pied les valeurs humanistes ? Il est aisé de dénoncer l’extrême droite à gauche. Mais encore faut-il être irréprochable sur ce que l’on prétend combattre. Tous les compagnons de route de LFI sont complices, par leur silence ou leur indulgence, des dérives de ce parti.
Au-delà des individus, c’est un enjeu plus large qui se joue : l’avenir de la gauche républicaine. Car ce que LFI abîme aujourd’hui, ce ne sont pas seulement les principes de la République, c’est aussi l’image d’une gauche capable d’unir plutôt que de fracturer, de rassembler plutôt que de diviser. Sa stratégie clientéliste, fondée sur une séduction grossière de certaines franges communautarisées, engendre un mal profond. En nourrissant des ressentiments identitaires, en jouant sur les tensions plutôt qu’en les apaisant, LFI creuse le lit de tous les affrontements à venir. La France, aujourd’hui plus que jamais, a besoin d’une gauche qui s’adresse à tous, et non d’un mouvement qui, par calcul ou par aveuglement, flirte avec les pires instincts.
Il est temps de parler sans détour. Il est temps de dire, surtout quand on est de gauche, que LFI a dépassé la ligne rouge. Il est temps de cesser d’excuser, d’atermoyer, de trouver des circonstances atténuantes. La République ne se négocie pas avec ceux qui, sous couvert de progressisme, trahissent ses idéaux les plus fondamentaux.
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