De nombreux propriétaires bailleurs sont à bout. C’est le cas d’Éric, la cinquantaine, commerçant indépendant, il décide il y a cinq ans d’investir dans un petit appartement à Élancourt dans les Yvelines. Objectif : le louer, une poire pour la soif et l’espoir d’améliorer son quotidien lorsqu’il sera à la retraite. Il passe une annonce sur Internet, reçoit une soixantaine de candidatures, en sélectionne cinq puis en retient une. Il s’agit d’une jeune femme, la trentaine, mère célibataire employée dans un restaurant. Cette dernière paraît sérieuse et présente toutes les garanties nécessaires : fiche de paie, avis d’imposition, etc. Sur le papier, tout est normal, aucune raison de douter de sa bonne foi. Trois mois plus tard, c’est la douche froide : premier impayé. Et cette situation va se prolonger durant plus d’un an. Que s’est-il passé ? La locataire a-t-elle perdu son emploi ? Rencontre-t-elle des difficultés personnelles ? Éric, son bailleur, cherche à en savoir plus mais n’obtient aucune réponse de sa part.
C’est le début des ennuis. Selon les derniers chiffres officiels, le nombre de loyers impayés s’établit en France aux alentours de 3,5 %. Cela peut paraître peu, mais lorsque l’on remonte le temps, on s’aperçoit qu’en 2020, ils étaient moins de 1 %. Certains accidents de la vie peuvent expliquer cette situation, mais il y existe également des mauvais payeurs, « des professionnels de la profession » comme les appelle désormais Éric. Des locataires peu scrupuleux qui en font voir de toutes les couleurs aux propriétaires. C’est notamment pour cette raison que de nombreuses voix demandent que soit mis en œuvre un statut plus protecteur pour les bailleurs privés.
« Il faut repenser le statut du bailleur privé »
Ce fut l’une des annonces du Premier ministre François Bayrou, lors de son discours de politique générale : relancer l’investissement locatif afin de diminuer la tension locative. La ministre du Logement, Valérie Létard, ne dit pas autre chose et va même plus loin, sensible aux arguments avancés par les propriétaires. « Il faut repenser le statut du bailleur privé ». Elle vient pour cela de lancer une mission flash dont les conclusions sont attendues pour 2026. Objectif : reconnaître, sur le plan fiscal, le rôle économique des propriétaires bailleurs, et non plus seulement les percevoir comme de simples rentiers.
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Cela fait trop longtemps que les politiques publiques opposent le bailleur face au locataire
Charles Marinakis, président de Century 21 France
Charles Marinakis, le président de Century 21 France est un fervent défenseur de cette idée. Selon lui, cela fait trop longtemps que les politiques publiques opposent le bailleur, considéré comme le grand méchant loup, face au gentil locataire, éternelle victime. L’idée de ce statut n’est en réalité pas nouvelle, c’est même un vieux serpent de mer.
La Fédération Nationale de l’Immobilier(FNAIM) avait déjà émis l’idée en 2008 de simplifier et de professionnaliser l’investissement privé. Concrètement, ce dispositif pourrait inclure la possibilité d’amortir le bien immobilier, à l’image de ce qui se pratique dans d’autres pays européens. Les investisseurs alors reconnus « acteurs économiques », pourraient déduire cet amortissement de leur revenu global, ce qui allégerait la fiscalité pesant sur les loyers perçus. Car lorsqu’un locataire ne paye plus son loyer, que l’on n’a pas souscrit d’assurance « garantie loyer impayé » et qu’il faut continuer de rembourser le bien, il n’y a plus du tout de rentabilité.
Pour Charles Marinakis, si les investisseurs privés quittent le navire de la location depuis quelques mois, c’est non seulement pour éviter les problèmes et les contraintes administratives ou environnementales qui s’accumulent, mais aussi parce qu’en règle générale la rentabilité est trop faible (2 ; 3 ; 3,5 %), alors que l’investisseur prend tous les risques. Dans ces conditions, autant selon lui placer son argent en Bourse. Un comble, alors que loger les Français est un acte civique qui mériterait un peu plus de reconnaissance. Pour le patron de Century 21, il faut à l’avenir atteindre un rendement aux alentours de 5 % si l’on veut faire revenir les bailleurs privés aux bercails.
L’attente est grande également du côté de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), qui réclame depuis plusieurs années un tel statut pour sécuriser et professionnaliser l’investissement des particuliers. Cette demande s’est notamment intensifiée au vu des statistiques de la FPI. Selon les derniers chiffres disponibles, le recul des ventes affiche presque 6 % en 2024. Pour la première fois depuis longtemps, le nombre d’investisseurs dans le parc locatif privé est passé d’une trentaine de pourcents aux alentours de 25 %. Un coup dur, qui pousse le secteur à compter sur l’investissement privé pour maintenir un niveau suffisant de constructions. Pour Sylvain Grataloup, président de l’union des propriétaires immobiliers, il faut arrêter de taper sur les bailleurs privés car ils logent 70 % des locataires, c’est autant de personnes dont l’état n’a pas à s’occuper.
Par ailleurs, ils font tourner l’économie : plus de 1 milliard 400 millions d’euros engagés, l’an passé pour financer des travaux de rénovation ou payer ce que l’on appelle communément les frais de notaire, preuve de leur engagement pour le logement. Au-delà de la nécessité d’un statut de bailleur privé ou d’un encadrement équivalent, Sylvain Grataloup veut faire « exploser » l’idéologie sous-jacente et néfaste selon laquelle, la propriété privée ne serait qu’un pur système capitalistique qu’il faudrait absolument terrasser. Et de prendre l’exemple argentin, où la libéralisation de l’immobilier et de la location privée montre aujourd’hui un redémarrage sans précédent du marché immobilier au pays de Javier Milei
Un redémarrage sans précédent du marché immobilier au pays de Javier Milei
Le président de l’Union Nationale des Propriétaires Immobiliers(UNPI) qui fait une proposition choc, supprimer la trêve hivernale qui empêche les expulsions de locataires mauvais payeurs, non pas pour les sanctionner absolument mais pour empêcher ceux qui se voient notifier une décision d’expulsion en octobre de jouer avec le calendrier et le début de la trêve au 1er novembre. Beaucoup finissent par rester six mois de plus sans rien payer, or, selon Sylvain Grataloup, s’ils ne peuvent s’acquitter de leur loyer, c’est à l’État de les accompagner vers des logements d’urgence, pas aux bailleurs de les supporter durant tout ce temps. Une petite musique qui résonne agréablement aux oreilles d’Éric, notre propriétaire bailleur des Yvelines, victime d’impayés de loyers, les mains dans le cambouis et qui se bat comme un rustre.
Son avocat vient de remporter une première manche devant la justice qui a tranché en faveur de l’expulsion de la locataire, mais la procédure va jouer les prolongations. D’abord, parce que la loi interdit les expulsions avant le1er 31 marset qu’ensuite, rien ne dit que la locataire ne fera pas appel. Elle peut aussi gagner du temps en ouvrant un dossier de surendettement. Enfin, l’expulsion n’a lieu que sur ordre du préfet, ce qui là encore peut demander plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Éric ne désarme pas, reste confiant mais s’inquiète. Dans quel état va-t-il retrouver son bien ? Devra-t-il effectuer des travaux pour le louer à nouveau ? Son parcours du combattant est loin d’être terminé.
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