« On est traumatisées. » Quelques mois après, Marion* et Eva* sont toujours marquées par l’agression qu’elles ont subie dans la ligne H à Paris. À l’automne dernier, ces deux étudiantes de 21 ans ont été prises à partie par un individu, vraisemblablement alcoolisé ou drogué, dans ce transilien passant par la gare du Nord.
Après les avoir interpellées à plusieurs reprises, l’individu a lancé son téléphone en direction des jeunes femmes. L’une d’elles, Eva, a osé lui répondre et lui demander de s’en aller. L’agresseur s’est alors mis à la menacer de viol et de mort. « Il lui a dit : “Je vais te suivre jusque chez toi. Je vais t’égorger et t’enculer” », se souvient Marion. « Personne ne s’est levé pour nous, alors que la rame était bondée », a déploré la jeune femme. L’homme a ensuite menacé Eva de lui cracher dessus, avant de s’exécuter. Deux personnes ont fini par intervenir et ont réussi à chasser l’individu.
Menaces, violences, harcèlement, exhibition sexuelle ou frottements voire viols… Ces faits existent par centaines et se produisent au quotidien dans les transports en commun. Une étude de l’Observatoire national des violences faites aux femmes, dévoilée ce lundi 10 mars, rapporte que le nombre de victimes de violences sexuelles dans les transports en commun a augmenté de 86 % depuis 2016. Les femmes représentent 96 % des victimes, tandis que 99 % des agresseurs présumés sont des hommes. Une enquête de l’institut Enov menée en juin 2022 pour la RATP précisait déjà que sept femmes sur dix affirmaient avoir été victimes de violences sexistes et sexuelles dans les transports en commun d’Île-de-France.
Ces gestes d’évitement
Si les autorités mettent en place des mesures pour tenter de renforcer la sécurité des femmes dans les transports en commun, nombre d’entre elles ont mis en œuvre des stratégies d’évitement. Elles modifient en effet leur tenue, renoncent à prendre les transports en commun à certaines heures, se déplacent accompagnées ou ne sortent plus sans une petite bombe au poivre.
Le rapport de l’Observatoire national des violences faites aux femmes de ce lundi précise d’ailleurs que 80 % des usagères disent « rester en alerte », lorsqu’elles voyagent. 68 % des sondées s’habillent différemment face à ce risque et 60 % évitent les transports selon les tenues qu’elles portent. Dans un wagon, elles sont 93 % à préférer s’asseoir à côté d’une femme, d’un couple ou d’une famille, tandis que 83 % se placent dos aux portes ou aux murs lorsqu’elles sont debout, relate l’étude.
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Il s’agit ainsi d’une manière d’éviter d’attirer l’attention d’un possible agresseur. « L’évitement est un des aspects du traumatisme. Dans l’état de stress post-traumatique, il y a notamment des flash-back de l’agression, un évitement qui se met en place pour faire en sorte qu’il n’y ait pas réitération du problème », analyse Chantal Michard, psychologue clinicienne. D’après cette spécialiste en victimologie sexuelle, « les stratégies d’évitement se produisent souvent quand il y a déjà eu récemment un incident traumatisant », tel qu’une agression.
« Les stratégies d’évitement se produisent souvent quand il y a déjà eu récemment un incident traumatisant »
« Je suis naturellement sensible aux gens qui m’entourent, mais maintenant je suis davantage sur mes gardes », témoigne Amandine* au JDD, après avoir été prise à partie par une bande de jeunes qui proféraient des insultes à caractère sexuel, en gare d’Enghien-les-Bains en janvier dernier. La jeune femme de 27 ans avait reçu du gaz lacrymogène en plein visage de la part de l’un de ces individus, lui causant des problèmes respiratoires durant plus de 48 heures. Depuis, elle n’hésite pas à « changer de place » dans le train, si elle suspecte un comportement « agressif ou lourd » chez un autre usager. Marion, elle, garde toujours sur elle une bombe au poivre « pour éviter les problèmes » et surtout pour se « sentir rassurée ».
Un sentiment d’impunité
Ces violences contre les femmes ne sont « pas anodines », précise Chantal Michard. La psychologue ajoute que « les criminels multirécidivistes ont souvent commencé par des violences sexistes ou sexuelles », comme des attouchements ou des exhibitions sexuelles, avant de commettre un viol. « Le sentiment d’impunité risque de les encourager à passer à un cran au-dessus », estime-t-elle.
Ce que confirme une source policière, qui a travaillé 15 ans à la sécurisation du réseau de transport francilien : « Il y a une forme d’impunité car les gens estiment qu’il y a toujours plus grave qu’un frotteur. » Certains individus vont commettre des actes « crescendo » : « Cela va commencer par de la frotte, puis par de l’attouchement, pour finir par un viol. » Si un renfort des effectifs de police en civil est l’une des solutions pour sécuriser les transports en commun, les victimes sont invitées à déposer systématiquement plainte, notamment en ligne, indique la même source au JDD.
En janvier dernier, le ministre des Transports, Philippe Tabarot, avait relancé sa proposition de loi sur la sécurité dans les transports. L’ancien sénateur plaide notamment pour « la généralisation et la légalisation des caméras-piétons » et pour un élargissement du « périmètre d’action des agents de la sûreté ferroviaire afin de leur permettre d’agir au-delà de leurs prérogatives actuelles », déclarait-il au JDD le 12 janvier. Malgré des mesures apportées au fil des ans, comme les bornes d’appel disposées sur les stations ou le numéro d’urgence 3117, l’insécurité semble loin d’être contenue.
*Les prénoms ont été changés.
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