
Le massacre des Alaouites n’est pas un accident. Depuis trois mois, les djihadistes qui ont renversé le régime de Bachar al-Assad aiguisaient leurs couteaux. Treize ans qu’au début de la révolution, les mosquées sunnites promettaient d’envoyer « l’Alaouite au cimetière et le chrétien au Liban ». Huit siècles que le théologien Ibn Taymiyya dénonçait « de plus grands mécréants que les juifs et les chrétiens ». Des hérétiques, pires encore que les frères ennemis chiites. Qui n’ont qu’un choix : la conversion ou la mort. L’histoire de la région est un long martyrologe alaouite. Jusqu’à l’accession au pouvoir de l’un d’entre eux, Hafez el-Assad, des esclaves alaouites servaient dans les familles bourgeoises. Leurs vies de petites bonnes livrées au bon vouloir de leurs seigneurs et maîtres ne valaient pas grand-chose.
Publicité
La suite après cette publicité
Les djihadistes aiment filmer leurs exploits. Il faut crever l’impie et terroriser le rescapé
Le pogrom
Le week-end dernier, la vie d’un Alaouite ne valait plus rien. Un pogrom s’est abattu sur le littoral syrien. Il a commencé à Banias qui s’était révolté en 2011 et avait enduré une répression féroce. L’heure de la vengeance longuement ruminée a sonné jeudi. Vendredi, jour de la prière, pendant le ramadan, la bénédiction était au carré. Les Tchétchènes, Tadjiks, Tatars, Ouzbeks et Ouïghours ont rappliqué d’Idleb pour prêter main forte aux « forces de sécurité ». Les djihadistes s’en sont donnés à cœur joie. Les villages pilonnés à l’arme lourde. Les passants abattus dans la rue. Les portes des maisons que forcent les barbus cagoulés. Les familles débusquées dans l’appartement où elles se terrent, exterminées. Enfants inclus, pourquoi faire le détail ? Les djihadistes aiment filmer leurs exploits. Il faut crever l’impie et terroriser le rescapé. Du coup, se pencher sur les réseaux sociaux, c’est plonger dans un bain de sang.
Cette orgie terroriste était-elle inévitable ? La thèse officielle veut que « des éléments incontrôlables » aient enclenché un cycle de représailles. C’est le discours d’Ahmed al-Charaa, président de la Syrie par intérim. Pas un mot de compassion, ni même une phrase pour déplorer les massacres. Mais il a dénoncé les Alaouites « qui continuent sur la même voie ».
Pari perdu ?
L’alibi du régime s’appelle Ghiat Dalla. Un ancien commandant de la 4e armée qui était l’armée privée de Maher al-Assad, frère cadet du tyran, aujourd’hui en Irak. Depuis trois mois, les Alaouites subissent mille vexations. Des rumeurs enflent de crimes laissés impunis. L’officier prétend se battre pour sauver sa peau. Il a fondé un Conseil militaire et pris la semaine dernière le contrôle d’hôpitaux et de bases dans la région de Lattaquié. Le chef local de Hayat Tahrir al-Sham y a même été exécuté. L’Iran et le Hezbollah libanais ont sans doute aidé les rebelles, l’occasion de rallumer la mèche de la guerre civile.
Lundi, le ministre syrien de la Défense a annoncé « la fin de l’opération militaire après le succès de nos forces pour réaliser tous les objectifs visés ». Il n’a pas précisé si les enfants assassinés étaient une des cibles visées.
La suite après cette publicité
Ceux qui ont applaudi l’arrivée au pouvoir en Syrie d’un ancien d’Al-Qaïda couvert de sang mais qui porte une barbe bien taillée et met une cravate quand il est invité à Paris, tous ceux qui admiraient son sens politique et voulaient lui donner une chance se taisent. Le Quai d’Orsay condamne les exactions contre les civils. Il ne manquerait plus qu’il les approuve !
En Syrie, comme en Libye ou en Irak, le tyran considéré par l’Occident comme l’incarnation du Mal laisse place au chaos, alimenté par les haines entre groupes ethniques et entretenu par les pays alentours. Les optimistes incurables ont fait un pari, il est perdu.
Source : Lire Plus