En saisissant le Conseil constitutionnel le 27 décembre 2024 d’une « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC) sur les dispositions du code électoral et du code de procédure pénale relatives à l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité prononcée contre un élu politique, le Conseil d’État a déverrouillé une situation délicate. Il y a deux raisons à cela.
D’abord, en entraînant la démission d’office d’un élu condamné à plusieurs années d’inéligibilité – peine devenue obligatoire pour les élus depuis la loi Sapin 2 de 2016 sur la délinquance économique –, l’exécution provisoire signe sa mort politique. En effet, démis de son mandat du fait de l’exécution immédiate de son inéligibilité, l’élu est exclu du jeu politique.
Si le juge ne prononce pas cette exécution provisoire, le politique peut valablement faire appel ou se pourvoir en cassation, la mise en œuvre de son inéligibilité étant reportée à la fin de ces recours quand la décision est devenue définitive. Or les juridictions pénales en France font souvent montre d’une rigueur extrême à l’encontre des politiques, même en l’absence de tout enrichissement personnel. Si bien que l’exécution provisoire de l’inéligibilité, qui devrait être l’exception, est devenue la norme.
La différence choquante de traitement des élus
Ensuite, les procès intentés contre des politiques, par exemple pour avoir recouru à des emplois jugés fictifs, suscitent de plus en plus un sentiment de malaise. Rappelons que cette pratique a été reprochée à un ancien président de la République, à des candidats à la présidence de la République et aujourd’hui à de potentiels futurs candidats à la fonction suprême. Ce n’est donc pas un contentieux banal. Ce qui choque, c’est la différence de traitement réservé aux élus concernés selon que la déchéance est prononcée par le Conseil constitutionnel ou que la démission d’office résulte d’une condamnation pénale.
En effet, le Conseil constitutionnel, par contraste avec les juges au pénal, a depuis l’origine exclu toute exécution provisoire du constat de l’inéligibilité d’un député ou un sénateur. On cite souvent une décision de 2009 concernant Gaston Flosse, président de la Polynésie française. Il avait été condamné à l’inéligibilité assortie d’une exécution provisoire. Le Conseil constitutionnel a dit halte-là ! L’intéressé ayant déposé un pourvoi en cassation contre sa déchéance, le Conseil a estimé ne devoir constater cette déchéance que quand la peine serait le cas échéant définitivement confirmée par la Cour de cassation. La première décision en ce sens est plus ancienne ; elle date de 1996 à propos de Bernard Tapie. Cette jurisprudence ne s’est depuis jamais démentie.
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Mais il y a un autre argument qui porte également sur l’égalité devant la justice et qui montre qu’il est temps de remédier à cette anomalie. L’exécution provisoire d’une condamnation, selon la jurisprudence, « répond à l’objectif d’intérêt général visant à favoriser l’exécution de la peine et à prévenir la récidive ». Elle n’a pas pour objet d’être une punition supplémentaire réservée à la classe politique.
Pense-t-on vraiment que le recours à des emplois dits fictifs ou l’utilisation gratuite de la cantine du Conseil départemental par son ancien président mérite l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité synonyme d’exclusion définitive de la vie publique ? Pense-t-on qu’une telle conséquence est proportionnée au but de « prévenir la récidive » ?
La décision attendue sur l’exécution provisoire
Il y a quelques années, le rapporteur public devant le Conseil d’État à qui l’on demandait de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la constitutionnalité de ces dispositions, avait bien vu la difficulté. Mais il l’avait évacuée en rejetant la responsabilité sur le juge pénal à qui il revient, soulignait-il, « lorsqu’il exerce la faculté de prononcer l’exécution provisoire d’une peine, d’en mesurer toutes les conséquences… ».
Il n’est pas sûr qu’en taclant particulièrement sévèrement certains responsables politiques candidats aux plus hautes fonctions, la justice recueillera davantage l’adhésion du public. Ce qui est sûr en revanche, c’est qu’après les réquisitions du procureur à Paris en faveur d’une inéligibilité assortie d’exécution provisoire à l’encontre de candidats potentiels aux élections présidentielles de 2027, la décision à venir du Conseil constitutionnel est attendue comme devant avoir un impact majeur sur le paysage politique français.
Noëlle Lenoir est avocate à la Cour et membre honoraire du Conseil constitutionnel.
Jean-Claude Magendie est le premier président honoraire de la Cour d’appel de Paris.
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