C’était il y a trois mois. François Bayrou sortait furieux d’un entretien avec Emmanuel Macron à l’Élysée. Le chef de l’État refusait de le nommer à Matignon, lui préférant son fidèle ministre des Armées, Sébastien Lecornu. Le maire de Pau avait pourtant menacé de faire exploser la majorité si son exigence n’était pas satisfaite. Surprise : quelques minutes plus tard, un communiqué de l’Élysée annonçait finalement sa nomination comme Premier ministre. L’entourage du président assurait qu’il « s’était imposé » comme « le plus consensuel » des prétendants. En réalité, c’était un coup de force inédit. Le Béarnais avait fait plier l’Amiénois. Certains avaient même vu dans cette séquence la fin du second quinquennat d’Emmanuel Macron. Depuis, bien de l’eau a coulé sous les ponts.
Le 5 mars dernier, lors d’une allocution consacrée à la guerre en Ukraine, le chef de l’État a repris la main : menace russe, réarmement, dissuasion nucléaire, autonomie européenne… Ses propos faisaient écho aux préoccupations des Français. Résultat : sa cote de popularité a bondi de 7 points. À l’inverse, François Bayrou s’est effacé et a chuté de 5 points. « L’actualité internationale favorise l’“effet drapeau” », analyse auprès du JDD François Patriat, président du groupe Renaissance au Sénat et proche du président. « Le chef de l’État assume pleinement ses prérogatives constitutionnelles, le Premier ministre est logiquement en retrait », poursuit l’ancien ministre.
Bayrou face à son défi politique
Le président de la République est en effet l’unique chef des armées. Mais en vertu de l’article 21 de la Constitution, le Premier ministre est « responsable de la défense nationale ». Si Emmanuel Macron a acté un réarmement, avec un objectif de 3 à 3,5 % du PIB pour le budget de la défense (contre 2 % actuellement), c’est à François Bayrou qu’il reviendra de trouver les modalités et le financement nécessaires. Son défi, cependant, est avant tout politique : il doit s’imposer entre un Emmanuel Macron revenu au premier plan et des ministres en quête de visibilité.
C’est précisément ce qu’il a tenté de faire en recadrant Sébastien Lecornu. Le ministre des Armées avait convié les chefs de groupes parlementaires à une réunion ce jeudi 13 mars sur l’Ukraine et la sécurité européenne au ministère des Armées, sans mentionner Matignon. Si François Bayrou était informé de l’initiative, il a fulminé en découvrant une interview du ministre dans La Tribune officialisant cette invitation en son nom propre. Après un déjeuner tendu entre les deux anciens rivaux pour Matignon, une nouvelle invitation a été envoyée… cette fois en précisant la présence du « Premier ministre François Bayrou ».
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Mais pour le locataire de Matignon, la bataille ne fait que commencer. Ce jeudi, Emmanuel Macron réunira une task force ministérielle pour évoquer les besoins militaires de la France face aux tensions géopolitiques. Autour de la table : Jean-Noël Barrot, Sébastien Lecornu, Benjamin Haddad, Éric Lombard, Amélie de Montchalin, Catherine Vautrin et Astrid Panosyan-Bouvet. Une réunion similaire avait déjà eu lieu le 4 mars, où François Bayrou était apparu en retrait.
Le chef de l’État veut aller vite, alors que nos voisins européens accélèrent leur réarmement. Dans son esprit, la France ne peut être à la traîne tout en prétendant au leadership européen. Ce tempo tranche avec le style plus posé du Premier ministre. Mais le décalage entre les deux hommes ne relève pas uniquement du tempérament : il est aussi stratégique. Tandis qu’Emmanuel Macron se mobilise à l’international, François Bayrou se concentre sur des dossiers nationaux : réforme des retraites, refonte de l’État, budget 2026, fin de vie, lutte contre le narcotrafic… Autant de sujets éclipsés ces dernières semaines par l’actualité géopolitique.
« Emmanuel Macron profite importunément de la situation pour se remettre en selle »
« Il n’y a rien de plus vieux que le journal de la veille. Aujourd’hui, l’actualité est internationale. Demain, elle peut être dominée par un fait divers sordide, après-demain par une catastrophe climatique », relativise le sénateur LR Max Brisson. Pour lui, « Emmanuel Macron profite de la situation pour se remettre en selle ». Un retour en force qui ne dispense pas d’une épreuve politique : « Les impulsions du président devront ensuite être traduites devant le Parlement », rappelle-t-il, soulignant que ce dernier « n’est plus sous la coupe de l’Élysée ».
C’est justement devant les deux chambres que François Bayrou pourrait retrouver de l’élan. « À part le narcotrafic, les textes proposés sont pour l’instant trop faibles. Ils ne passeraient même pas un conseil départemental », tacle Laurent Jacobelli, porte-parole du RN et député de Moselle, qui réclame « une grande loi sur l’immigration ». François Patriat, de son côté, presse l’examen des « réformes structurelles déjà annoncées », tout en déplorant le manque de temps parlementaire pour adopter d’autres projets.
Bayrou, une discrétion stratégique ?
Pour l’instant, cette séquence politique apparaît comme un compromis gagnant-gagnant. Emmanuel Macron n’a plus à craindre une démission, et François Bayrou évite une motion de censure. « Il a compris que, dans ce contexte, la rareté de la parole est une arme de survie, observe Max Brisson. Le gouvernement de la communication permanente dont Gabriel Attal était le symbole est révolu. Le Premier ministre préfère rester discret pour durer le plus longtemps possible ».
Le Premier ministre pourrait néanmoins profiter d’une occasion pour reprendre la main. Ce vendredi 14 mars, il se rendra en Charente-Maritime pour un déplacement sur l’industrie, avec notamment une visite de l’usine Alstom à La Rochelle. Un moyen de refaire surface sur la scène nationale ?
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