Le choc de mardi à Anfield entre son ancien club et le PSG (21 h sur Canal+) ? Il n’est même pas sûr de le regarder. « Le foot ne m’intéresse plus trop, reconnaît-il au téléphone avec un accent qui ne laisse planer aucun doute sur ses origines. Je n’ai plus vu un match en entier depuis la finale de la Coupe du monde 2018. Le soir, je préfère faire du sport et promener mes chiens. »
Patrice Luzi s’est d’abord montré réticent à nous répondre, persuadé de n’avoir pas grand-chose à raconter. Mais la faconde insulaire s’est réveillée à l’évocation de ce 7 janvier 2004, sommet sportif de ses trois saisons à Liverpool (2002-2005). C’était un mercredi de championnat, à Chelsea.
« J’étais gardien réserviste derrière [Jerzy] Dudek, l’international polonais. Il se blesse en fin de match, et c’est parti. » On joue la 77e minute et le commentateur TV anglais salue « Patrice Luzi qui entre pour sa première apparition en Premier League ». Les Reds mènent 1-0 sur la pelouse des stars des Blues, les Terry, Lampard, Makélélé et autre Crespo, futurs dauphins d’Arsenal. Il faut tenir le résultat. L’ancien espoir du Gazélec Ajaccio, sa ville natale, puis de Monaco, va vivre un baptême du feu aussi « short » que « spicy » face à Adrian Mutu.
« J’aurais pu vivre une tout autre carrière en Angleterre »
Sur son premier ballon, trop passif, il voit le coup de tête du Roumain percuter la transversale. Intimidé ? Pas le genre de la maison. Un peu plus tard, il sort avec cran et autorité dans les pieds du buteur et sauve la victoire des siens après quatre minutes de temps additionnel. « Je n’ai pas pu apprécier le moment, rembobine-t-il. En France, celui qui est sur le banc regarde à peine le jeu. En Angleterre, on vit le match pareil, on est avec l’équipe. Pour moi, entrer était normal. Je n’ai pas ressenti d’émotion particulière. » Dommage, car il n’aura plus l’occasion de se mettre en évidence.
« Quand je suis arrivé à Liverpool, c’était l’époque de Gérard Houllier [1998-2004, NDLR], explique-t-il. Il avait fait venir pas mal de Français. Mon gabarit de costaud était prisé (1,92 m) et j’avais quand même un bon petit niveau. Mais quand l’Espagnol [Rafael Benitez] a pris sa place, il est venu avec ses joueurs et on m’a demandé de partir. Je n’ai pas eu de chance, je suis sûr que j’aurais pu effectuer une tout autre carrière en Angleterre. »
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Au lieu de cela, ce caractère entier trouvera refuge en Belgique (Mouscron, Charleroi) avant de raccrocher à Rennes, en 2010, à seulement 30 ans, lassé des mœurs parfois saumâtres du foot hexagonal. « Les clubs qui tournent bien n’ont pas besoin de grandes gueules comme moi, c’est trop difficile à gérer. Des mecs qui veulent tout le temps gagner, qui ne supportent pas l’injustice, qui sont corses… Ne pas être lisse, cela m’a porté préjudice. J’ai préféré changer de métier que de personnalité, je n’aurais plus pu me regarder dans une glace. Je n’ai aucun regret. »
De sa carrière atypique, il retient avant tout son expérience à Liverpool. C’est dans les brumes de la Mersey qu’il s’est senti le plus à son aise. Paradoxalement ? « Déjà, je suis un peu à l’envers, je n’aime pas la chaleur (rires). J’ai été très vite adopté. À Liverpool, on aime les mecs qui vont au charbon. J’étais l’un des leurs. Certains Français pleurnichaient dès qu’ils prenaient des coups. Là-bas, même les superstars comme Steven Gerrard ou Michael Owen (Ballon d’or 2001) allaient à la guerre à l’entraînement. Si on se battait pour gagner sa place, on était récompensé. La passion passe avant l’argent. »
Patrice Luzi se souvient de la ferveur des locaux lors des actions caritatives. « Pour les gamins de 5-6 ans, une place au stade ou un maillot rouge était un cadeau de Noël. En France, c’est la PlayStation… C’est un autre monde. » Une différence qu’il a ressentie jusque dans les relations humaines au quotidien dans un effectif pourtant constellé d’internationaux. « On était une bande de potes, on faisait tout ensemble avec l’obligation de parler anglais, c’est aussi ça un grand club. À part les Français comme Bruno Cheyrou, j’étais surtout copain avec les attaquants. On est proches sur le terrain, on se chambre, on se donne des petits tuyaux. »
À l’exception notable du vibrionnant Sénégalais El-Hadji Diouf. « Lui, c’était une vraie tête de mule. J’ai failli l’encadrer une ou deux fois. Il se prenait pour un autre, il manquait de respect. Même si je n’avais pas ses millions, je lui ai dit qu’il aurait droit au même traitement que les autres : “Coco, si je te coince la jambe, le foot c’est fini pour toi, donc réfléchis bien à ce que tu dis.” Derrière, il est devenu tout doux. » Qu’a-t-il gardé d’Anfield Road, ce stade dont on dit qu’il sent le foot comme aucun autre ? « Une ambiance indescriptible. Ça chante, ça vibre. À l’intérieur, il y a 45 000 personnes. Dehors, ils sont 30 000 dans les pubs. Quand ça pousse, c’est impressionnant. Une mi-temps avec le Kop face à toi, c’est Liverpool multiplié par deux. »
Pour toutes ces raisons, même s’il a depuis longtemps retrouvé son île chérie où il gère notamment des restaurants, le quadragénaire se dit « fier » d’avoir porté le maillot des Reds. « Entre Liverpool et le PSG, pour moi, il n’y a pas photo », conclut-il, conseillant aux Parisiens de prendre exemple sur le club anglais pour conquérir la Ligue des champions.
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