Ne lui dites pas qu’il ressemble à sa grand-mère ! Pourtant, c’est son portrait craché : même regard bleu-gris, mêmes pommettes saillantes, même bouche pulpeuse. Halfdan Ullmann Tondel, 35 ans, est le petit-fils de l’actrice norvégienne Liv Ullmann et du cinéaste suédois Ingmar Bergman. Natif d’Oslo, le jeune homme a remporté la Caméra d’or à Cannes, en mai dernier, pour son tout premier long métrage, La Convocation.
Il ne s’y attendait pas. « J’étais rentré chez moi peu après la présentation en séance officielle dans la catégorie Un certain regard, se souvient-il. On m’a demandé de revenir le jour du palmarès. J’ai laissé mon fils chez ma mère. J’ai acheté un billet d’avion, il n’y avait pas de vol direct. J’ai enfilé mon smoking dans les toilettes de l’aéroport. Je suis arrivé avec quinze minutes de retard, la cérémonie de clôture avait déjà commencé et mon distributeur était allé chercher le prix sur scène, à ma place. Je l’ai récupéré en coulisses. Un jour de folie ! »
Pas peu fier d’avoir été sélectionné par ce qu’il considère comme le Saint Graal en matière de festivals de cinéma, malgré le stress. « J’en avais les jambes coupées, si bien que je me suis assis par terre, les larmes aux yeux de soulagement et de joie. » Le jury ne s’est pas trompé : La Convocation frappe fort en abordant un sujet hautement périlleux : le harcèlement à l’école primaire.
L’histoire d’Elizabeth, appelée de toute urgence par la direction de l’établissement. Son fils Armand, 6 ans, aurait commis une agression sexuelle à l’encontre d’un camarade de classe avec qui il se chamaillait. Que s’est-il passé ? Les enfants assènent chacun leur version des faits, qui ébranle les certitudes des adultes… Dès les premières minutes, on est plongé dans un huis clos oppressant où le doute pèse en permanence, où on ignore qui croire et quoi penser.
Conçu tel un thriller, le récit déroule la réunion de médiation pour essayer de percer le mystère de cet incident, démêler le vrai du faux, dans une atmosphère inquiétante. Ne jamais se fier aux apparences, même face à l’héroïne jouée par Renate Reinsve, qui oscille entre rire et larmes, et frôle plusieurs fois la crise de nerfs. Avec un bémol : des intermèdes décalés et superflus, qui rompent avec le réalisme chirurgical de la situation. « Je m’intéresse à la propension à la destruction de l’être humain, souligne Halfdan Ullmann Tondel. Comment notre subconscient, les traumatismes et les expériences de la vie nous transforment et nous façonnent, conditionnent notre comportement. » Le réalisateur et scénariste avait été stupéfait en découvrant un fait divers similaire, lui qui avait travaillé pendant trois ans en tant qu’enseignant.
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« Emboîter le pas de ma famille n’a jamais été un rêve »
Il a enquêté sur la manière dont on gère ce type de violence pour savoir s’il existe une procédure à suivre. « J’ai téléphoné à 55 proviseurs qui m’ont donné 55 réponses différentes, admet-il. J’ai compris que le thème était très inconfortable et que la plupart n’osaient pas s’y frotter. Particulièrement en Norvège, où le conformisme social est très strict. En tant que père d’un petit garçon de 4 ans, je me sens concerné. » Aidé par Renate Reinsve, prix d’interprétation féminine à Cannes en 2021 pour Julie (en douze chapitres), de Joachim Trier, Halfdan Ullmann Tondel a mis huit ans pour monter La Convocation. Pas question d’utiliser le nom de ses illustres grands-parents. « Emboîter le pas à ma famille n’a jamais été un rêve, confie-t-il. Je refusais d’exercer un métier créatif. J’étais bon en mathématiques, alors j’ai étudié l’économie. Puis la psychologie. » Avant de suivre un cours de journalisme où il y avait une initiation au cinéma. « Je me suis senti chez moi et je n’ai plus jamais jeté un œil en arrière. C’est devenu ma passion. »
Pour son film, il a visionné quelques classiques, comme Douze Hommes en colère (1957) de Sidney Lumet, et Festen (1998) de Thomas Vinterberg. Ses maîtres s’appellent David Lynch, Stanley Kubrick et Steven Spielberg. A-t-il regardé les chefs-d’œuvre du couple formé par Ingmar Bergman et Liv Ullmann ? « Probablement une quinzaine sur la cinquantaine dénombrée, affirme-t-il. Ce n’est pas ma priorité. Je m’attache surtout à m’inspirer des premiers passages derrière la caméra hallucinants comme Schizophrenia (1983) de Gerard Kargl, ou Virgin Suicides (1999) de Sofia Coppola. »
Depuis Cannes, il a reçu des propositions mais préfère se concentrer sur ses projets personnels afin de développer sa propre voie. « Vous ne me verrez pas chez Marvel, martèle-t-il. Si j’en avais après l’argent, je n’aurais pas choisi ce métier ! Il y a trop de souffrance à la clé. La raison pour laquelle je vais bientôt retrouver ma précieuse Renate Reinsve pour une comédie noire. »
La Convocation ★★, de Halfdan Ullmann Tondel, avec Renate Reinsve, Ellen Dorrit Petersen. 1h57. Sortie mercredi 12 mars.
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