Il s’invite aussi bien dans les rayons des supermarchés que dans les discours de certains maires… Difficile, aujourd’hui, de ne pas savoir que la communauté musulmane de France entame le mois du ramadan, marqué par la pratique du jeûne diurne. Depuis le 1er mars, en effet, les près de sept millions de musulmans qui vivent en France (l’Insee estime qu’ils représentent 10 % de la population française) observent ce jeûne.
Mais qui dit jeûne, en islam, dit rupture de jeûne à la nuit tombée. Une pratique qui n’a pas échappé à la grande distribution. Partout dans les supermarchés, les stands dédiés fleurissent et proposent les ingrédients nécessaires aux plats typiques de ces soirées familiales ou amicales : dattes, lait ribot, amandes, semoule de couscous, feuilles de brick… Selon les chiffres du cabinet Solis, spécialisé dans les études marketing, les ménages musulmans augmentent de 40 % leur consommation de denrées alimentaires pendant cette période. Et d’après les instituts Circana et NielsenIQ, le mois du ramadan engendre une hausse 10 % des ventes de produits halal par rapport au reste de l’année. Or, une étude du cabinet Solis publiée en 2023, estimait ce marché à 7 milliards d’euros en France, contre 5,5 milliards en 2009. Forcément, cette manne explique un marketing communautaire assumé.
Mais les supermarchés ne sont pas les seuls à faire la part belle au ramadan. Boulangeries, épiceries, centres commerciaux, la fête musulmane s’invite jusque dans les rayons de la Fnac, décorés pour l’occasion. La compagnie Air France propose quant à elle à ses VIP des soupes harira, traditionnellement consommées lors de la rupture du jeûne.
Ce nouveau calendrier religieux, imposé par les changements démographiques récents, n’a pas attiré la seule attention des commerçants. Politiques et universitaires sont aussi au rendez-vous. À Toulouse, par exemple, les toilettes de la faculté des sciences et d’ingénierie ont été transformées par des étudiants musulmans en salle d’ablutions (lavage des mains et des poignets avant de faire la prière islamique), incitant l’université à rappeler les « principes de laïcité en vigueur ». Chaque année, certaines universités sont aussi accusées de décaler les examens en fonction des dates du ramadan. Mêmes débats dans le sport, avec des athlètes parfois affaiblis par le jeûne… Et en politique, évidemment. Car si 10 millions de musulmans sont un vivier de consommateurs, ils sont également un vivier… d’électeurs !
En nombre croissant
À Marseille, cette semaine, le maire socialiste Benoît Payan s’est par exemple rendu dans la mosquée des Cèdres, pour souhaiter un bon ramadan et affirmer que « sans les musulmans, Marseille ne serait pas Marseille ». Pour répondre aux critiques qu’elle essuyait en organisant la « nuit du ramadan » à la mairie de Paris, Anne Hidalgo avait également répondu que « le ramadan est une fête faisant partie du patrimoine culturel français ». Après avoir moqué le concept d’« insécurité culturelle » que Laurent Bouvet attribuait notamment aux importations culturelles étrangères, chacun se rend à l’évidence – même pour s’en réjouir : le nombre impose des mœurs et une culture.
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Car le ramadan ne fait pas partie du « patrimoine culturel français » par mutation naturelle de ce dernier, mais parce qu’un patrimoine culturel initialement étranger s’est imposé en France. « 44 % des immigrés en France sont musulmans, tandis que 32 % des immigrés de deuxième génération se disent également musulmans », rappelle Nicolas Pouvreau-Monti, directeur de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie (OID).
« 44 % des immigrés en France sont musulmans »
Une « corrélation statistique évidente » entre islam et immigration, déjà constatée, en 2011, par la démographe Michèle Tribalat. Elle rappelait à l’époque, dans les colonnes que lui offrait encore Le Monde, que « la presque totalité des musulmans sont des immigrés ou des enfants d’immigrés » en France. Et Nicolas Pouvreau-Monti de rappeler que le phénomène, dans son ampleur, est récent « puisqu’il remonte aux années 1960, avant de connaître une forte augmentation au début des années 2000 ». Un mouvement démographique également décrit par le sondeur et analyste politique Jérôme Fourquet qui note par ailleurs une « observance plus stricte du ramadan » depuis le début des années 2000 dans son dernier ouvrage, Métamorphoses françaises.
Le carême, pas assez commercial
Cette semaine marquait le début du carême pour les chrétiens, dans une discrétion toute évangélique et ce, malgré une fréquentation inédite observée dans les églises par le clergé français. « Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer », commande l’Évangile de ce mercredi des Cendres : non seulement les chrétiens sont appelés à jeûner discrètement mais ils ne pratiquent pas de rupture de ce dernier.
Forcément, cela intéresse moins les grandes surfaces que les agapes de Noël ou de Pâques ! D’autant que, nonobstant le rebond de cette année, la pratique de la religion historique s’effondre, détournant l’attention de politiques en mal d’électorat. La religion historique française a encore ses jours fériés (même si le mot « Noël » est chassé du vocabulaire des passionnés de l’inclusion !) mais elle n’a plus la visibilité de l’évidence, non plus que celle du nombre.
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