Le JDD. Votre livre met en lumière une tendance inquiétante dans les musées. Quelle a été votre méthode pour analyser ce phénomène ?
Didier Rykner. Mon objectif n’était pas d’enquêter sur les causes profondes, mais d’en montrer les manifestations les plus flagrantes. J’ai rassemblé des exemples concrets pour illustrer comment les musées, en voulant juger le passé à l’aune de valeurs contemporaines, finissent par dénaturer leur mission première : préserver et transmettre l’histoire de l’art, d’autant que leurs constats sont souvent historiquement faux. L’accumulation de ces exemples montre bien qu’il ne s’agit pas de cas isolés, mais d’un mouvement global qui prend de l’ampleur.
Vous montrez que ce phénomène vient principalement des pays anglo-saxons. La France est-elle épargnée ?
Pas du tout ! Même si les grandes institutions comme le Louvre ou Orsay résistent encore, on observe une réécriture croissante des collections. Le futur grand musée Jules Verne qui doit ouvrir à Nantes a annoncé très récemment vouloir poser un regard lucide sur l’œuvre teintée de colonialisme de l’écrivain. Qu’on explique éventuellement que certains de ses romans peuvent se passer dans le contexte colonial, c’est très bien. Mais cette réécriture permanente de l’histoire me paraît complètement absurde. On assiste à une forme d’autocensure qui, sous prétexte d’adaptation, appauvrit la compréhension du passé. Le cas du musée Gadagne à Lyon est frappant : il expose de moins en moins ses collections permanentes et les remplace par des expositions thématiques « engagées », transformant ainsi un musée d’histoire en outil militant.
« On préfère cacher certaines œuvres que de les expliquer »
Vous citez des cas de réécriture de cartels, c’est-à-dire des étiquettes sur lesquelles on peut identifier l’œuvre et l’auteur. Pouvez-vous donner un exemple ?
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Au Philadelphia Museum of Art, le cartel d’un portrait d’enfants du XVIIIe siècle explique que leurs parents ont plus tard hérité d’une plantation esclavagiste. Quel est le rapport avec le tableau ? Aucun. On ne fait plus d’histoire de l’art, mais une lecture morale rétroactive du passé.
Certains justifient ces modifications en disant qu’elles permettent une vision plus inclusive des collections…
Je suis favorable à une meilleure mise en avant des artistes oubliés, mais pas à une politique de quotas. La National Gallery of Art de Washington a dépensé des sommes astronomiques pour acquérir des œuvres de femmes, parfois de qualité discutable, simplement pour rééquilibrer ses collections. Or, l’art doit avant tout être jugé sur ses qualités esthétiques, pas sur le genre ou l’origine de son auteur.
Cette tendance affecte-t-elle aussi l’enseignement de l’histoire de l’art ?
Oui. J’ai vu des étudiants de l’École du Louvre, au Festival de l’histoire de l’art, analyser un livre de Neil MacGregor avec une grille de lecture « décoloniale », alors que ce n’était pas son propos. Certains enseignants, notamment à l’Université, imposent cette vision militante, ce qui a des conséquences sur la formation des futurs conservateurs.
Comment voyez-vous l’avenir des musées face à ces évolutions ?
Si cette logique continue, les musées perdront leur rôle de transmission. On préférera cacher certaines œuvres plutôt que les expliquer, modifier l’histoire plutôt que la présenter dans sa complexité. C’est une forme de censure qui, paradoxalement, renforce ce qu’elle prétend combattre.
Que proposez-vous pour résister à cette tendance ?
Revenir aux fondamentaux : enseigner l’histoire de l’art sans biais idéologique, garantir la neutralité des musées et rappeler que leur rôle est de préserver, non de juger le passé.
Mauvais genre au musée, Didier Rykner, Les Belles Lettres, 280 pages, 21,50 euros
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