Faut-il donc vraiment prendre au sérieux le constat du chef de l’État, qui estime que Moscou constituerait une menace existentielle ? Plus simplement, faut-il prendre tout court au sérieux le président de la République ? Que la Russie ne soit pas une puissance bienveillante, qui en doutera ? Mais qui doutera qu’un empire, quel qu’il soit, le soit nécessairement un jour ? Les logiques impériales sont historiquement des logiques de force, qui opèrent prioritairement en fonction de leurs intérêts. Ce qui est vrai pour la Russie l’est pour la Chine, mais également pour un empire démocratique et libéral comme les États-Unis.
La rhétorique présidentielle est d’abord, dans les faits, un outil de propagande. On nous a expliqué durant des mois que les Russes perdraient cette guerre, que l’axe États-Unis/Europe tiendrait bon, que l’Ukraine de Zelensky ne flancherait pas, notamment en raison du soutien des Occidentaux. La réalité est évidemment démentie par la dynamique du conflit, en premier lieu, où, malgré l’aide occidentale, les Ukrainiens ne sont pas parvenus à repousser les armées de Poutine. Et désormais, la doxa des Occidentaux est à proprement parler renversée par le changement de politique qui préside à Washington depuis la réélection de Donald Trump.
Le « narratif » de l’inéluctable victoire mis à mal, la stratégie à laquelle recourt Emmanuel Macron est bien connue des experts en communication. Cette stratégie fut théorisée et mise en pratique dans les années 2000 par l’un des spin doctors de Bush Jr, son conseiller Karl Rove. Elle a un nom : il s’agit de la stratégie de Shéhérazade, du nom de la princesse des Mille et une Nuits qui invente une nouvelle histoire chaque soir afin d’échapper à un sort funeste. S’inspirant de cette figure littéraire, Rove était de ceux qui pensaient qu’au pied du mur de la réalité, il fallait alors changer de réalité pour mieux faire diversion. En conséquence, ce n’est plus tant l’Ukraine pour l’Ukraine que nous devons défendre, mais l’Ukraine pour l’Europe et désormais pour la France, le président en appelant dorénavant, une première en quasiment huit ans, à notre patriotisme.
Macron est né de la peur
À vrai dire, rien de vraiment nouveau dans le registre d’Emmanuel Macron, même si l’on pressent que l’hôte de l’Élysée franchit un palier supplémentaire dans l’imaginaire de la dramaturgie qu’il ne cesse de convoquer pour mieux s’évertuer à ne pas chuter. Ce n’est au demeurant bien moins une stratégie qu’un stratagème dont use et abuse le premier des Français.
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Macron est né de la peur : la peur des populistes et d’une extrême droite fantasmatique ; il a prospéré par la peur d’un virus dont l’antidote sanitaire fut tout à la fois liberticide et dispendieux ; il s’est relancé, encore une fois, grâce à la peur de la guerre à quelques encablures d’un scrutin présidentiel qui lui assura sa réélection ; alors que guette l’instabilité institutionnelle qu’il a lui-même générée et dont il pourrait être comptable à terme, il entend survivre grâce à cette même peur en faisant entrer le pays dans une atmosphère de « désert des Tartares », titre de ce roman de Dino Buzzati où tout l’horizon d’attente des protagonistes du récit est figé dans une ligne de front en attente de l’ennemi. Reste à savoir si cette « drôle de peur » est à la hauteur des vraies menaces que le président ne semble pas ou se refuse à voir…
*Arnaud Benedetti est professeur associé à la Sorbonne et auteur de « Aux portes du pouvoir – RN, l’inévitable victoire ? » (Michel Lafon).
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