
Promouvoir l’« Éducation à la vie affective et relationnelle, et à la sexualité » (EVARS) auprès des enfants, c’est évoquer la sexualité comme une pratique à conquérir et maîtriser. Ce programme du ministère de l’Éducation nationale prétend respecter les enfants en les initiant au grand mystère qui anime la vie des adultes. Sa démarche est fallacieuse, à deux titres.
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C’est d’abord cantonner la sexualité à son exercice corporel. Or, cet aspect n’est pas celui qui intrigue les enfants : comment s’exerce la rencontre entre les sexes est un sujet qui les indiffère, qui ne concerne pas leur actualité. Ils en réservent la découverte pour plus tard et se contentent de l’approcher dans leurs jeux. Leur réflexion naissante s’occupe moins d’un « comment » que d’un « pourquoi » : pourquoi y a-t-il deux sexes ? Pourquoi y a-t-il des filles et des garçons ?
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Ils cherchent la réponse en observant leurs parents : mon père fut petit garçon jadis, ma mère fut petite fille. Avec au cœur : « Qu’est-ce qui, eux devenus grands, a animé leur rencontre, dont je suis le fruit ? »Ils soupçonnent que des baisers sur la bouche ont préludé à sa venue au monde. Mais ce qui anime leur préoccupation, c’est le témoignage affectif et relationnel : la sexualité comme don à l’autre sexe.
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Car telle est la sujétion humaine : la sexualité noue l’union des sexes comme don par chacun de sa propre incomplétude sexuée fait à l’autre sexe. Dans l’union sexuelle, la femme adulte accueille la virilité masculine à laquelle elle renonça jadis, comme l’homme renonça à la féminité, pour conforter son destin personnel de fillette, s’appropriant alors la féminité depuis son lien à sa mère ; elle peut du coup la donner à l’homme, nouant le partage amoureux où il lui donne en retour sa puissance sexuelle, psychiquement inspirée du modèle paternel jadis dégagé de la relation à son propre père.
« Mais ce qui anime leur préoccupation, c’est le témoignage affectif et relationnel »
La vie sexuelle émane du manque que suscite dans le destin humain la partition sexuée, source du désir sexuel que l’enfant ne peut éprouver ni dans son esprit, ni dans son corps. Il en pressent la dynamique d’amour, qu’il rêve d’incarner, le faisant fruit de la complémentarité de ses parents : c’est sa façon de reconnaître la dette qu’il se ressent à leur égard. Des informations « réalistes » qui décriraient la sexualité adulte brouillerait sa méditation. Seules peuvent lui profiter des notions neutralisées de toute excitation, limitées à des représentations proches de la biologie, figurant la conception : elles fertilisent son établissement de lui-même.
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De telles informations n’ont d’ailleurs aucune chance de contribuer utilement à la lutte contre l’inceste et les abus sexuels, mise en avant pour les justifier. Faire porter à l’enfant le poids d’une dénonciation de personnes abusives desquelles il se sent dépendant, à la raison qu’on lui ait enseigné une légitimité à le faire, c’est lui demander de surmonter un paradoxe existentiel – les condamner alors qu’il aspire à les honorer. Ce serait démissionner du rôle dévolu aux adultes de veiller à la protection de l’enfance : être à l’écoute aussi discrète qu’attentive des détresses enfantines, tâche des professionnels d’entendre les messages subliminaux et souvent embrouillés qui les signalent, requérant une formation à les détecter.
Cela ne concerne pas les enseignants, très dévoués aux enfants qu’ils ont la mission d’instruire en collectivité : ils ne pourraient l’assumer sans une confusion des tâches. Mais ils doivent pouvoir se tourner vers les interlocuteurs dédiés : les médecins et infirmières, dont les établissements scolaires sont trop dépourvus, les professionnels de la protection de l’enfance, qui accomplissent un travail remarquable dans des conditions de dénuement indigne, les médecins pédiatres et généralistes, dont on sait la surcharge d’activité, les équipes de pédopsychiatrie, dont on sait la situation de pénurie. Le rôle des pouvoirs publics est de remédier à ces carences.
Les autorités gouvernementales se défaussent-elles par ce projet EVARS, au risque de mettre les enseignants en porte-à-faux ? D’autant que, véritables pompiers pyromanes, elles sont responsables d’avoir désorganisé le principe psychique gérant la protection de l’enfance au sein des familles : le lien de filiation, principe garantissant les Interdits familiaux de l’inceste et du meurtre. Découlant dans la tradition française de la relation d’enfantement, il a été saccagé par les lois sur la famille de ces dernières décennies. Le prétexte en soi acceptable d’une ouverture « à toutes les familles » ne justifiait pas de priver de droit un enfant d’avoir père et mère, abolissant l’enfantement comme principe psychique sur lequel repose l’éveil psychoaffectif de l’enfant. Voilà le chantier qu’il convient de ressaisir.
Notre époque succombe à une veine hédoniste, vantant toutes les manières d’accéder au plaisir sexuel pour qu’aucune ne se sente socialement disqualifiée. Cette démarche est acceptable, si elle ne concerne que les adultes. Ce serait une faute que d’y immerger la vie affective des enfants.
*Christian Flavigny est pédopsychiatre, directeur de recherche à l’Institut Thomas More et auteur de Comprendre le phénomène transgenre, Ellipses, 2023.
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