Devant le bureau électoral central de Bucarest, ce dimanche soir, des milliers de partisans de Calin Georgescu, drapeaux roumains en main, ont exprimé leur colère. « À bas la dictature », pouvait-on entendre parmi plusieurs slogans lancés. En cause : le rejet survenu quelques minutes plus tôt de la candidature de leur protégé pour l’élection présidentielle prévue les 4 et 18 mai prochains. Dans un communiqué lapidaire, la Commission électorale a d’abord annoncé cette invalidation sans aucune explication. Dans un second temps, s’appuyant sur le jugement rendu en décembre dernier par la Cour constitutionnelle, elle a évoqué un candidat qui « ne remplit pas les conditions de la légalité », car il a enfreint « les règles démocratiques d’un suffrage honnête et impartial ». Exit donc le favori du scrutin, donné à 40 % d’intentions de vote pour le premier tour.
« C’est un coup direct porté à la démocratie dans le monde. Si la démocratie en Roumanie tombe, c’est le monde démocratique tout entier qui tombera », a assuré Calin Georgescu dans un message publié sur X, n’hésitant pas à affirmer que « l’Europe est désormais une dictature » et que « la Roumanie est sous la tyrannie ». Il s’agit d’un « nouvel épisode dans le coup d’État » à l’œuvre depuis l’annulation du premier tour, a renchéri ce lundi 10 mars l’autre figure de la droite nationaliste roumaine George Simion, évoquant « une page noire de notre fragile démocratie ».
« De nombreux Roumains sont révoltés par le manque de transparence de la Commission électorale »
Dimanche soir, 13 gendarmes ont été blessés lors des violentes manifestations de protestation contre la décision de l’organisme chargé de superviser les procédures électorales. D’autres rassemblements sont attendus dans les prochains jours. « De nombreux Roumains sont révoltés par le manque de transparence de la Commission électorale. Aucune explication n’est concrètement mise sur le devant de la table », indique au JDD Florent Marciacq, secrétaire général adjoint du Centre franco-autrichien pour le rapprochement en Europe et chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Si « nous sommes loin d’une grande révolution », le spécialiste de l’Europe centrale Thibaud Gibelin estime toutefois « que les manifestants sont conscients d’être devant une séquence historique très dangereuse pour la démocratie ».
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Depuis quelques semaines, la présidentielle roumaine est devenue un véritable feuilleton. Calin Georgescu avait d’abord créé la surprise en se qualifiant pour le second tour avec 23 % des voix, éliminant le Premier ministre sortant, le social-démocrate Marcel Cialacu. Mais le candidat anti-système a dû se résoudre à l’annulation du scrutin au motif de multiples « irrégularités ». La Cour constitutionnelle a pointé une campagne entachée de soupçons d’ingérence russe sur le réseau social TikTok et dans une moindre mesure sur Facebook et Instagram. À l’époque, la candidate arrivée en deuxième position, la libérale Elena Lasconi, avait protesté contre cette décision. De son côté, la Commission européenne avait ouvert une enquête qui n’a toujours pas abouti aujourd’hui.
Et c’est précisément là que le bât blesse : aucune preuve tangible n’a pour le moment été dévoilée. « Si les autorités étaient certaines que Moscou était intervenue dans la campagne, elles n’auraient pas tardé à en faire la démonstration », note l’essayiste Thibaud Gibelin. Selon un média d’investigation roumain, la campagne à l’origine de l’annulation du scrutin aurait même en réalité été financée par le parti libéral pro-européen. Calin Georgescu a pourtant été inculpé le 26 février pour de multiples chefs, notamment de « fausses déclarations » de financement de campagne et « d’incitation aux troubles de l’ordre constitutionnel ».
Son ascension vertigineuse avait suscité l’inquiétude d’une partie des alliées européens de la Roumanie, devenue un pilier essentiel de l’alliance atlantique depuis le début de la guerre en Ukraine. Critique à l’égard de l’Union européenne et de l’Otan, Calin Georgescu est opposé à l’envoi d’aide à Volodymyr Zelensky et prône avant tout la recherche de la « paix ». En outre, l’ancien haut fonctionnaire a un profil atypique. Ingénieur agronome, il intègre le ministère de l’Environnement après la chute du dictateur communiste Nicolae Ceausescu. Ce père de famille rejoint ensuite les Affaires étrangères et effectue des missions au sein d’agences de l’ONU liées au développement durable. Puis il devient professeur d’université et sort de l’ombre en diffusant des propos controversés sur les réseaux sociaux lors de la pandémie du Covid-19. Il ne fera irruption sur la scène politico-médiatique qu’au moment de la campagne présidentielle.
En récoltant plus de deux millions de voix au premier tour, le soutien d’une partie de la population roumaine à Calin Georgescu est indéniable. La diaspora l’a même placé en tête avec 43 % des suffrages. Pour le chercheur associé à l’Ifri Florent Marciacq, cela s’explique par plusieurs raisons : « D’abord par une poussée du conservatisme avec un retour à la religion. Georgescu va chercher les racines de la Roumanie liées à l’Église orthodoxe, à l’image de Viktor Orban en Hongrie. Le soutien à l’Ukraine a aussi fortement diminué alors que le pays a un positionnement clé dans les chaînes d’approvisionnement en matière d’armement ukrainien. Des milliers de personnes se sentent laisser pour compte entre l’afflux des réfugiés, l’augmentation des prix et la crainte de voir la guerre s’étendre aux pays limitrophes, dont la Roumanie fait partie. Puis plus généralement, Georgescu est un candidat anti-système qui a été légitimé par Donald Trump et la nouvelle administration américaine. Ça lui a donné une aura supplémentaire ».
« C’est de la folie ! », a réagi ce dimanche Elon Musk, à la tête du département américain de l’Efficacité gouvernementale, à l’annonce de la décision de la Commission électorale. Le vice-président J.D. Vance a lui aussi fustigé des autorités roumaines « annulant des élections dont elles n’aiment pas les résultats ». Avant d’assener : « Elles ont si peur de leur peuple qu’elles le font taire ».
En France, plusieurs déclarations de personnalités politiques vont dans le même sens : « Une démocratie à sens unique dans laquelle on annule les résultats qui nous déplaisent, n’est plus, par définition, une démocratie digne de ce nom », a lancé le président du Rassemblement national Jordan Bardella sur X. Sa collègue du RN au Parlement européen Virginie Joron a elle déposé une résolution sur l’annulation des élections « qui remet en question ce principe fondamental de la démocratie ». Pour sa part, le président de Reconquête Éric Zemmour estime que « l’exclusion de Georgescu à la présidentielle devrait tous nous alerter » car « cette situation est l’ultime étape du coup d’État des juges mené en Occident que je dénonce en France ».
Pour autant, toutes les chances de participer à la prochaine élection présidentielle ne sont pas perdues pour le candidat anti-système. Ce lundi 10 mars, en fin d’après-midi, la Cour constitutionnelle a annoncé dans un communiqué avoir reçu son recours. Elle se réunira ce mardi 11 mars pour l’examiner. En revanche, si le rejet de son dossier est confirmé, « la voie pourrait s’ouvrir pour l’autre candidat populiste George Simion », avance Florent Marciacq, co-directeur de l’Observatoire des Balkans. Le patron de l’Alliance pour l’unité des Roumains (AUR) avait soutenu la candidature de Georgescu au premier tour du scrutin présidentiel. Si son sort est scellé, l’ancien candidat pourrait donc lui rendre la pareille et le soutenir à son tour.
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