On dirait que les diplomaties ont juré d’affoler les peuples. Hier, vers 4 heures, dans les couloirs de la Chambre, vint une rumeur disant que la guerre allait éclater. Dernier discours de Jean Jaurès, 29 juillet 1914, à Bruxelles. Quatre jours plus tôt, à Lyon-Vaise, le journaliste, député et grande figure de la gauche, déclarait sur le même ton : « Citoyens, je veux vous dire ce soir que jamais depuis quarante ans l’Europe n’a été dans une situation plus menaçante et plus tragique que celle où nous sommes… » Ces mots font écho aux propos de François Bayrou devant l’Assemblée nationale cette semaine : « Cette situation, la plus grave depuis 1945. » Ces mots résonnent également après le discours d’Emmanuel Macron cette semaine lors de sa réunion avec les 27 à Bruxelles : « Le moment est grave pour l’Europe. »
Deux moments de l’histoire. Deux positions face à l’histoire. En 1914 comme aujourd’hui, le gouvernement veut la guerre, au nom de la paix. En 1914 comme aujourd’hui, toute la presse veut la guerre, au nom de la paix. Sauf qu’en 1914, un homme s’est levé seul et contre tous pour la paix : Jean Jaurès. Lui qui faisait face à un gouvernement assoiffé de guerre a été assassiné le 31 juillet 1914, parce que pacifiste. Trahison ou pacifisme ? Un mois plus tôt, le 28 juin 1914, l’héritier du trône d’Autriche-Hongrie, l’archiduc François-Ferdinand, est assassiné à Sarajevo par un nationaliste serbe. Encouragée par l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie écrase la Serbie, la France et la Russie volent au secours des Serbes.
Les Français ont une revanche à prendre contre l’Allemagne depuis plusieurs décennies. Il fallait notamment récupérer l’Alsace et la Lorraine. Prise dans l’engrenage des alliances, la France se retrouve parmi les va-t-en-guerre, sans se rendre compte qu’un massacre pourrait avoir lieu. « Quand vingt siècles de christianisme ont passé sur les peuples, quand depuis cent ans ont triomphé les principes des Droits de l’homme, est-il possible que des millions d’hommes puissent, sans savoir pourquoi, sans que les dirigeants le sachent, s’entre-déchirer sans se haïr ? » criait Jean Jaurès. Héros des ouvriers, celui qui avait toujours osé prendre des positions courageuses, l’homme de tous les combats, à commencer par la défense du capitaine Dreyfus, martèle : « Ce qui me navre le plus, c’est l’inintelligence de la diplomatie. » Il se veut homme de dialogue, le gouvernement et la presse lui répondent non. Il se veut homme de paix, on lui répond non. Il demande d’écouter l’argumentaire allemand, on lui répond non. Il écrit que la guerre sera un massacre, un carnage avec des millions de morts, on lui répond désinformation, fake news.
Il est traité d’« Allemand », l’insulte suprême. Il est la cible de caricatures et d’insultes dans toute la presse, et est considéré comme un traître à la nation. Certains journaux appellent directement au meurtre de Jean Jaurès : « Nous le verrions fusillé avec plaisir ». Menaces de mort, lettres anonymes, malgré tout, il veut convaincre le gouvernement de renoncer à la guerre. Le 31 juillet 1914, après un dernier entretien de quarante minutes avec Abel Ferry, sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères, à 19 heures, il se rend au café Croissant dans le 2 e arrondissement de Paris pour dîner avec des amis. Deux coups de feu sont tirés. Un meurtre qui a bouleversé la France.
Aujourd’hui, L’Humanité n’est plus l’humanité, la gauche ne défend plus l’ouvrier, la gauche ne défend plus la paix, alors que ce même clivage apparaît. « Il ne faut céder à aucun excès : ni l’excès des va-t-en guerre ni l’excès des défaitistes. » Les patriotes qui, au nom de la France, veulent la guerre, et les patriotes qui, au nom de la France, veulent la paix. Ceux qui veulent faire passer le raisonnable pour l’absurde et l’absurde pour le raisonnable. Qui a raison, qui a tort ? L’actualité nous apprend à être humbles. L’Histoire également. La vérité du jour n’est pas toujours la vérité. L’empressement de certains à se positionner dans un camp ou un autre est intéressant à observer. Un des camps accuse l’autre, l’insulte et veut le faire taire. Toujours cette liberté d’expression. De position. De penser.
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Être pacifiste ne doit pas être synonyme de faiblesse, mais plutôt de courage et de conviction
À l’heure où les tensions géopolitiques s’intensifient, est-il encore permis de défendre des opinions divergentes sans être ostracisé ? Si Jean Jaurès avait été écouté, il n’y aurait sans doute pas eu la guerre de 14, et donc pas d’Hitler, ni de Seconde Guerre mondiale. Ceux qui décident de la guerre ne sont jamais ceux qui meurent sur le champ de bataille, ni ceux que l’on arrache des bras de leur mère, de leur épouse, de leur enfant pour partir à la guerre. À quel prix peut-on être pacifiste en France ? Est-ce que le droit à la paix, à la réflexion critique et à l’expression de divergences d’opinions est possible ? Les débats d’idées doivent-ils être sacrifiés sur l’autel de la sécurité nationale ? Ou, au contraire, un véritable dialogue est-il la clé pour éviter les conflits ?
Être pacifiste ne doit pas être synonyme de faiblesse, mais plutôt de courage et de conviction. Pas un pacifisme naïf, mais un pacifisme réfléchi, celui qui dénonce « la guerre pour la guerre », celui qui défend que des opinions divergentes ne devraient pas être considérées comme des actes de trahison, mais comme des éléments essentiels d’une démocratie. La France doit être cette nation où le dialogue prime sur la violence.
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