
« Une personnalité un peu kamikaze […] J’aime bien les personnalités qui acceptent de prendre des risques. » Après coup, l’étrange « compliment » de François Bayrou à Manuel Valls, juste après l’avoir nommé ministre d’État, résonne différemment. Et si le Béarnais, capable de forcer la main à Emmanuel Macron pour atterrir à Matignon, s’était reconnu dans ce surprenant qualificatif ? Depuis qu’il a conquis Matignon, François Bayrou se sait assis sur un siège éjectable. Ce qui semble, paradoxalement, l’encourager à prendre des risques. Prêt à tout pour rester en place, il cale ses pas dans ceux de Bruno Retailleau, son ministre le plus populaire. Au point d’évoquer la « submersion migratoire » à l’Assemblée, ou de piétiner le domaine réservé du président en promettant – avant de se faire rabrouer par Emmanuel Macron – de dénoncer l’accord de 1968 avec l’Algérie, si le régime Tebboune ne se montre pas plus coopératif. Ultime transgression, l’homme qui ne rate pas une occasion de se vanter d’avoir fait campagne sur le déficit et la dette publique dès 2007 a pris le risque de rouvrir le dossier explosif du système des retraites, dont le déséquilibre a largement alimenté la dégradation des finances publiques.
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En cas d’accord des partenaires sociaux participant au conclave, qu’il a créé, l’ancien candidat à la présidentielle promet, la main sur le cœur, que le gouvernement présentera un projet de loi. Et ce, dans une assemblée dominée par le RN et la gauche qui rêvent de s’offrir le scalp de la réforme. Avec cette décision, François Bayrou risque de manger son chapeau si jamais les organisations syndicales et patronales s’accordent pour un retour de l’âge légal à 62 ou 63 ans.
En réalité, il s’agit d’une pure manœuvre politique destinée à acheter la bienveillance du PS, pour éviter la censure sur le budget. La première partie du pari a fonctionné. Mais le Premier ministre, conscient d’avoir joué avec le feu, sait que le match est loin d’être plié. Réunis pour la deuxième fois jeudi, les partenaires sociaux ont évoqué les questions sensibles de l’âge de départ et de la durée de cotisations. Si le Medef se montre inflexible et propose même un report bien au-delà des 64 ans pour assécher le déficit du système par répartition, estimé à 6,6 milliards d’euros dès cette année par la Cour des comptes, la CPME est plus ouverte. Pour la première fois ce jeudi, les négociateurs de l’organisation patronale ont évoqué la possibilité de revenir en arrière sur l’âge de départ. À condition d’augmenter le temps de travail des actifs via, par exemple, la proposition de supprimer trois jours fériés, lancée par Amir Reza-Tofighi, le nouveau patron de la CPME, il y a quelques semaines dans le JDD.
Alors que malgré la réforme, le déficit du système de retraites continue de se creuser cette année pour atteindre un trou de 15 milliards d’euros en 2035, François Bayrou pourrait voir son conclave lui exploser à la figure. Et, si, à rebours de tous nos voisins européens et en contradiction totale avec l’évolution démographique, la réforme de 2023 était abrogée et l’âge de départ ramené à 62 ou 63 ans ? Même si cette perspective reste peu probable au regard des positions respectives des syndicats et du patronat, elle fait régner la nervosité au sein de l’exécutif.
Les syndicats sont priés de ramener le système à l’équilibre
Éric Lombard, Laurent Saint-Martin, Astrid Panosyan-Bouvet… on ne compte plus les ministres qui se sont précipités sur les plateaux avant même le coup d’envoi du conclave pour mettre en garde contre le danger d’une telle hypothèse. En piétinant allègrement la promesse de laisser les partenaires sociaux négocier en toute indépendance et sans interférer. Le 27 février, François Bayrou s’offre la une du Figaro dans la foulée de la première réunion du conclave. Et il interfère à son tour. D’abord, en confirmant que les règles du jeu ont changé. Il ne s’agit plus de « réformer la réforme » sans dégrader la situation financière de nos régimes de retraite. Cette fois, les syndicats sont priés de ramener le système à l’équilibre. « Non seulement il nous complique la tâche, mais en plus il veut qu’on fasse le travail à sa place », s’agace une négociatrice qui a vécu l’interview comme un « coup de pression » adressé aux partenaires sociaux. Dans le même entretien, cette proposition étrange du Premier ministre : organiser un référendum sur les retraites, en cas de « situation de blocage ». Stupéfaction dans les rangs syndicaux : « Chiche ! S’il veut demander aux Français leur avis sur l’abrogation de la réforme, on signe tout de suite », poursuit la négociatrice. Pendant ce temps-là, à l’Élysée, Emmanuel Macron fulmine. Quelques jours plus tard, le président recadre sèchement son Premier ministre, en rappelant que l’article 11 de la Constitution – qui définit la procédure de référendum – est une prérogative exclusive du chef de l’État.
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Alors, qu’adviendra-t-il de la réforme de 2023 imposée au forceps par le gouvernement Borne ? Depuis quelques jours, la focale de l’actualité s’est logiquement posée sur la guerre en Ukraine et la question brûlante de la défense européenne. Mais cela n’empêche pas certains députés du socle commun de garder le conclave dans un coin de leur tête. En espérant qu’il accouche d’une souris début juin, à l’issue des seize rounds de négociations prévus entre partenaires sociaux. « La réforme est déjà tellement instable et fragile que je vois difficilement ce qui pourrait faire consensus », pose un élu Horizons. Quant au spectre d’une abrogation, ce cadre macroniste n’y croit pas une seconde : « Il n’y a pas d’équilibre du système de retraite avant 64 ans et très vite 67 ans. Donc cette possibilité n’existe pas. » Et pourtant si… en tout cas depuis que François Bayrou a redonné espoir à tous les opposants à la réforme. Tout ça pour complaire au PS et ne pas subir le même sort que Michel Barnier. Alors que le Rassemblement national de Marine Le Pen n’avait pas l’intention de le censurer. Sur ce coup-là, l’ancien haut-commissaire au Plan a oublié d’être visionnaire.
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