Le JDD. JCDecaux est une des entreprises françaises les plus innovantes dans le pays, mais le grand public la réduit le plus souvent à des panneaux publicitaires. De quoi JCDecaux est-elle le nom ?
Jean-Charles Decaux. C’est une entreprise qui rend la vie de millions de citoyens tous les jours plus facile, plus commode, grâce à ses produits et services basés sur la gratuité et la qualité. Elle accompagne chacun dans son quotidien sans que l’on s’en rende compte, puisqu’on ne paye pas pour ses services ou très peu. Je pense à l’abribus publicitaire, aux toilettes publiques, aux vélos en libre-service, je pense à la signalétique, aux supports d’information. Nous sommes un média qui offre un service à 850 millions de personnes dans le monde dans plus de 80 pays.
Vous résumez sa présence dans une formule : JCDecaux est la dernière image que l’on voit dans un aéroport à Paris, et la première que l’on voit en arrivant dans un aéroport au bout du monde.
Oui, c’est vrai, puisque nous fournissons les supports d’informations et publicitaires dans près de 160 aéroports et 4 000 villes dans le monde, mais aussi dans les galeries commerciales ou dans les compagnies de transport. Notre groupe, aujourd’hui, est à 50 % dans le mobilier urbain, à 35 % dans les transports du quotidien : aéroports, métros, gares, bus, tramways, vélos, et également sur les toiles événementielles pour les monuments historiques qui contribuent à l’accélération de la restauration des monuments, ou les grands formats digitaux que vous pouvez voir ici ou là dans le monde. La communication extérieure digitale étant d’ailleurs le média en plus forte croissance.
JCDecaux est l’inventeur du vélo en libre-service, dont Steve Jobs avait dit qu’avec l’iPhone, est l’innovation la plus révolutionnaire du siècle. Combien de villes en sont équipées aujourd’hui dans le monde ?
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Plus de 1 000 villes, parmi les plus grandes du monde. Des villes dont on ne soupçonnait pas qu’elles pourraient devenir adeptes du vélo. Je pense à Paris, bien sûr, ou à New York. La puissance du vélo en libre-service repose sur la capacité de le rendre accessible, disponible et peu cher pour les utilisateurs. C’est grâce au modèle publicitaire qu’on a réussi à le faire. Cela pouvait paraître contre-intuitif tant beaucoup opposent le modèle publicitaire au modèle utilitaire. Mais c’est bien grâce à ce modèle que l’on peut payer beaucoup moins cher son abonnement et donc mettre tous types de populations sur des vélos.
Malgré un contexte économique mondial au ralenti en 2023-2024, vous présentez un chiffre d’affaires en hausse de plus de 10 % en 2024. Quelles sont, parmi vos activités, celles qui sont le plus développées ?
Ce sont les activités liées au mobilier urbain et au transport. Presque 9 % de croissance dans le mobilier urbain et près de 13 % dans le transport. Le transport profite encore du rebond post-Covid, alors que le mobilier urbain est déjà très au-dessus de l’époque pré-Covid. Le mobilier urbain, c’est tout ce que l’on apporte comme services aux collectivités locales dans les transports publics, les abris voyageurs, bus ou tramways. Le mobilier urbain pour l’information est également devenu un vecteur de communication maîtrisé pour les citoyens et les marques. Les villes se développent et ont de plus en plus besoin d’équipements, notamment pour communiquer avec leurs concitoyens, de façon ciblée, quartier par quartier, sur des travaux en cours, par exemple.
« Nous déployons notre propre label : croissance en conscience »
En quoi l’intelligence artificielle modifie votre secteur d’activité ?
L’intelligence artificielle est déjà présente dans nos algorithmes pour calculer et mesurer l’impact de nos produits sur nos plateformes de vente publicitaires. Pour nos clients, cela nous permet d’organiser une campagne clé en main en ciblant les populations auxquelles ils souhaitent s’adresser, dans un délai très court, que ce soit pour une marque de petite taille ou une marque de grande taille. Nous exploitons également des modèles d’IA capables de produire des premiers rendus sur nos supports.
L’enjeu environnemental affecte-t-il vos métiers ?
Nous déployons notre propre label : croissance en conscience. Nos mobiliers urbains sont conçus pour avoir des durées de vie supérieures à la durée de nos contrats. Nos produits ont une capacité de recyclabilité quasiment intégrale, nous nettoyons nos mobiliers à l’eau de pluie depuis plus de vingt ans. Nous avons ainsi réduit nos émissions de gaz à effet de serre (GES) de près de 30 % depuis 2019 et avons été reconduits dans la liste A du Carbon Disclosure Project (CDP) qui évalue la performance environnementale des grands groupes. Par ailleurs, nous produisons près de nos lieux d’opération. Nous ne sommes pas soumis à des transports massifs et lointains. Ainsi, nous pouvons croître tout en réduisant nos émissions.
Quelles sont les perspectives de développement de JCDecaux à l’horizon 2030 ?
De manière générale, l’urbanisation continue de se développer et génère des besoins d’infrastructures de transport. C’est le cas en Amérique du Nord. C’est aussi le cas en Asie-Pacifique, portée par une dynamique démographique très forte. Le marché latino-américain avec des grosses mégapoles constitue un marché d’avenir. Mais aussi l’Europe, encore en croissance. L’année dernière, celle-ci a été de 18,4 % sur le marché britannique et de près de 10 % en France.
« La vie entre continents est un rapport de force »
Quel regard portez-vous sur le contexte de guerre commerciale relancée par les décisions de Donald Trump sur l’augmentation massive des droits de douane ?
La vie entre continents est un rapport de force. Certains, qui avaient pu l’oublier, le redécouvrent aujourd’hui. Je pense que si l’on veut être optimistes en restant lucides, on peut se dire que c’est pour nous, Européens, une nécessité absolue de repenser notre souveraineté. Dans trois dimensions : politique, militaire et économique. Et sur ce dernier point, il y a beaucoup à dire. Nous avons pendant trop longtemps été naïfs. Qui avait prédit que la Chine, en moins de vingt ans, deviendrait le leader mondial des batteries et des voitures électriques, alors que nous avions les plus grands constructeurs en Europe et aux États-Unis ? Nous ne l’avons pas anticipé. L’Europe doit se ressaisir. Arrêter de réglementer avant de créer de nouvelles activités. Nous avons des atouts : des organisations et des entreprises ambitieuses. Nous avons besoin de champions européens, de les préserver, de les encourager. Ce que savent très bien faire les Américains ou les Chinois. Ce que ne savent pas encore faire les Européens, divisés et hyper-réglementés.
Et en ce qui concerne la situation économique de la France, êtes-vous confiant ou inquiet ?
Il faut déjà poser le bon diagnostic pour y apporter les bons remèdes. Et le bon diagnostic, pour faire simple, c’est qu’en France, la quantité de travail hebdomadaire et tout au long de la durée de la vie est inférieure à ses compétiteurs mondiaux. Cela peut être un choix de vie, mais il faut l’assumer. Cela induit inexorablement un appauvrissement de notre population et de notre pays. En 2008, avant la crise financière, le niveau de vie européen était équivalent à celui des États-Unis. Aujourd’hui, l’écart de PIB entre les US et l’Europe est de 30 %. Dans ce contexte, la France fait face à deux défis : la quantité de travail – nous payons encore les conséquences des 35 heures – et le financement du modèle social qui pèse de tout son poids sur les entreprises.
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