Le JDD. Emmanuel Macron durcit son discours sur l’Ukraine, adoptant un ton de plus en plus martial et alarmiste. Cherche-t-il à rassurer les Français ou à attiser leurs inquiétudes ?
Hervé Morin. En tant que Président de Région, comme je le fais quotidiennement, j’ai beaucoup échangé avec des gens ces deux derniers jours : des entrepreneurs, des soignants dans une clinique et j’ai tenu une réunion publique. J’ai donc rencontré beaucoup de Normands qui sont, je crois, assez représentatifs de l’opinion française. Beaucoup sont inquiets et certains voient dans cette avalanche de déclarations une instrumentalisation politique. Globalement, et je suis désolé de le dire, Emmanuel Macron ne les rassure pas comme pouvaient les rassurer François Mitterrand ou Jacques Chirac. Or, dans une crise comme celle-ci, il faut du calme, de la détermination tranquille, une communication mesurée, la plus réduite possible, et surtout éviter toute exagération ou provocation, notamment face à des dirigeants qui n’ont pratiquement pas de limites, comme Vladimir Poutine. Parler d’« impérialisme révisionniste » à propos de la Russie, franchement, ça n’apporte rien.
Pourquoi cette montée en tension soudaine autour du conflit ?
Parce qu’il est comme ça. C’est sa manière de gouverner. Et puis, tant qu’on parle de guerre, plus personne ne parle de la démission du gouvernement ou d’élections anticipées en juillet. Et surtout, ça évite de parler des sujets qui fâchent comme la réduction de la dépense publique ou le rééquilibrage du régime des retraites.
Le président affirme que « la guerre pourrait nous toucher directement ». A-t-il raison ?
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Que la Russie soit une menace pour la stabilité et la sécurité en Europe, tout le monde en convient. Mais de là à agiter le spectre de la mobilisation générale ou à faire croire que la France est directement menacée par une invasion russe, c’est faux. La Russie est une menace, oui, mais elle se manifeste par des cyberattaques ou encore par l’assassinat d’opposants politiques, pas par des chars à nos frontières. L’armée russe est incapable d’envahir l’Europe. Elle n’a même pas réussi à écraser l’Ukraine en trois jours comme Poutine l’annonçait. Et si un jour elle devait s’en prendre à un pays de l’OTAN, cela signifierait que l’Alliance Atlantique n’existe plus, que l’article 47 du traité de l’Union européenne n’a plus de valeur… et que notre dissuasion nucléaire ne fonctionne pas. Ce qui n’est pas le cas.
Les opposants d’Emmanuel Macron l’accusent de souffler sur les braises pour détourner l’attention et justifier ses choix. Partagez-vous cette analyse ?
Depuis huit ans, il fonctionne sur un mode de mise en scène permanent. Il se nourrit d’effets d’annonces, de dramatisation. On l’a vu avec Notre-Dame, son comportement sur le terrain après la défaite en finale de la Coupe du Monde de Football et ses annonces faites sur Brut sans avoir prévenu ses propres ministres. Les Français attendent des actes, pas des discours. Prenez la réindustrialisation : il en parle sans cesse, mais dans les faits, elle n’existe pas ou presque. Pendant ce temps, l’économie patine et la dette continue d’exploser…
Le réarmement de l’Europe est un processus de long terme, qui portera ses fruits dans 10 ou 15 ans
Reconnaissez-vous malgré tout à Emmanuel Macron le mérite d’avoir significativement augmenté le budget de l’armée ?
Il a prévu de l’augmenter, mais essentiellement après 2027. Il y a bien eu une hausse, mais en proportion du PIB, on est passé de 1,79 % à 2,06 %, soit moins de 0,3 point en huit ans. Ce n’est pas une transformation en profondeur. Et surtout, la loi de programmation militaire reporte l’essentiel de l’effort budgétaire sur le prochain quinquennat. Il faut aussi rappeler que c’est une victoire posthume du général de Villiers, limogé pour avoir osé réclamer plus de moyens pour l’armée.
Face à la menace russe et au désengagement américain, plusieurs pays européens augmentent leur budget militaire. Cette reconfiguration stratégique représente-t-elle une opportunité pour l’industrie de défense française ?
C’est un défi historique. Le réarmement de l’Europe est un processus de long terme, qui portera ses fruits dans 10 ou 15 ans. Avant d’annoncer des chiffres, il faut d’abord un vrai dialogue entre les nations européennes. Cette prise de conscience ne doit pas s’évaporer avec le temps. Ensuite, il faut rapidement passer aux actes, car les industriels ne lanceront pas de nouveaux programmes sans garanties contractuelles. Or, aujourd’hui, l’industrie de défense européenne est incapable d’absorber une hausse brutale des commandes militaires. Les dépendances sont encore trop fortes : si demain les Américains décident de clouer les F-35 au sol, ils ne volent plus. Il nous faut une vraie stratégie, une ambition politique claire, et surtout un partage du fardeau à l’échelle européenne.
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