À 25 ans, il donne à la perche ce qu’Icare avait rêvé de faire : voler près du soleil. Ses sauts transcendent l’aspect athlétique pour devenir une figure artistique. Comme l’aigle, il est majestueux et domine le monde. Il est aspiré par le ciel. Jamais le qualificatif d’homme volant n’a mieux été adapté qu’à l’Américain Armand « Mondo » Duplantis, de nouveau recordman du monde avec 6,27 mètres franchis à Clermont-Ferrand le 28 février dernier.
Je lui ai parlé très souvent, j’ai des contacts privilégiés avec lui. J’ai même sa fiche d’entraînement. Il faut dire qu’il a noué des liens d’amitié avec le fils de Patrick Abada, l’un de mes anciens athlètes. C’est comme ça que j’ai été mis dans la boucle.
Petit, il affrontait ses frères dans le jardin où un sautoir avait été installé. « Il n’aimait déjà pas perdre », m’a dit son père, Greg, qui fut lui-même un excellent perchiste. On s’est d’ailleurs rencontrés plusieurs fois dès les années 1980. Je me souviens d’un meeting à Chicago, ce devait être en 1983. Il y avait eu une pluie de glace : en quelques secondes, la route était devenue impraticable. Mais revenons au fiston. À 10 ans, il franchissait 3,90 m. Où est le miracle ? « Mondo, donne-moi tes secrets », lui ai-je demandé.
La course d’élan a toujours été son point fort. Il va vite. Ainsi, à la veille du meeting de Zurich en septembre dernier, un match fut organisé sur 100 mètres. Il l’a gagné contre le spécialiste du 400 mètres haies, Karsten Warholm, en 10’’37 contre 10’’47 pour son adversaire norvégien. Il l’a mangé. C’était prodigieux. Outre sa vitesse, Duplantis n’a pas de rupture entre la course et la phase d’appel, c’est-à-dire le décollage. Actuellement, c’est dans cette phase qu’il fait la différence. Pour son dernier record du monde en Auvergne, il a couru 10,28 mètres par seconde, ce qui lui permet d’emmagasiner beaucoup d’énergie dans la perche. Mondo effectue alors une extension des hanches. À ce moment-là, il escalade le ciel pour récupérer la totalité de l’énergie. Le saut a duré une seconde huit dixièmes ! J’ai ici les observations de Thierry Vigneron, que j’ai entraîné autrefois. « C’est de la belle perche, m’a dit notre ex-recordman du monde. Dès l’échauffement où il effectue deux ou trois sauts, il est parfaitement réglé. Sa vitesse est la base de son saut. » Il faut pourtant savoir que plus on va vite, plus c’est difficile d’effectuer un geste technique.
Il n’est jamais blessé
Dernière remarque, la plus importante pour mes collègues entraîneurs : il n’est jamais blessé. Jusqu’où peut-il aller ? Pour moi, il a 6,30 mètres dans les jambes. Pour finir, j’ai cette image qui me revient à l’esprit, celle d’un de ses précédents records, quand il a passé la barre des 6,25 mètres aux Jeux de Paris. Il est champion, il est le magicien du stade. Il réalise l’exploit de conserver son titre olympique, ce qui n’avait jusqu’alors été fait que par son compatriote Bob Richards en 1952 puis 1956. Un aigle de Louisiane qui plane sur sa discipline.
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