Le 8 mars ? « La journée mondiale de l’hypocrisie », bondit Camille. Chaque année, cette jeune mère qui travaille dans la finance est crispée par la journée des droits des femmes. Ou plutôt par son cortège de célébrations des « avancées » acquises ou manquantes dans l’articulation de la maternité et d’un métier… « Il y a les militantes qui n’en font qu’une question de droits, mais en oublient la spécificité de la maternité, sa singularité aussi d’une femme à l’autre, et même d’un enfant à l’autre. Et puis les employeurs, qui affichent des bonnes intentions qui ne mangent pas de pain… Les discours engagés, sincères ou de façade, m’agacent, je les trouve pour la plupart très éloignés de la réalité ! » Camille a été marquée par les réflexions déplaisantes qui ont accompagné ses deux grossesses et les congés associés, « y compris de femmes qui disent combattre les injonctions ! Pour les unes, on s’arrête trop, pour les autres, pas assez. Ma hiérarchie m’a soutenue, puis me l’a fait un peu payer… »
Même double discours dénoncé chez Clara : « Mes chefs tenaient des discours pro-famille mais il y avait une forte pression, presque assumée d’ailleurs, pour que je m’arrête le moins longtemps possible. » Nathalie, employée dans une PME au personnel majoritairement féminin, se souvient du « patron arrangeant avec celles qui avaient des enfants mais qui, à chaque occasion, faisait sa tournée d’observation de celles qui buvaient de l’alcool ou non, en blaguant sur l’anticipation nécessaire des congés maternité… Ce n’était pas malintentionné, mais c’était oppressant et indélicat, c’est un sujet sensible ! » La pression malvenue n’est pas l’apanage des hommes : au retour de son congé maternité, Sonia en est tombée de sa chaise. « Ma boss m’a convoquée pour un entretien dans lequel elle m’a carrément assigné pour objectif d’effacer ma maternité : “J’ai besoin que tu sois pleinement là, comme si tu n’étais jamais partie, comme si tu n’avais jamais eu d’enfant !” »
Égalité ou équité ?
Employeurs et managers se défendent prudemment. Thierry, directeur commercial dans un grand groupe, regrette que l’égalité aille jusqu’à l’absurde : « Je dois augmenter aussi des femmes qui ont été absentes toute l’année, leur accorder leur bonus… Ce n’est pas équitable vis-à-vis de ceux qui se sont investis à fond ! » Patron d’une petite cinquantaine de salariés, dont un tiers de femmes, Bruno s’estime soumis à des injonctions impossibles : « J’ai l’impression de faire le maximum, mais c’est très compliqué d’absorber l’impact des heureux événements comme si de rien n’était… » « On ne peut pas le dire mais bien sûr qu’on réfléchit à deux fois avant d’embaucher une femme, renchérit un avocat d’affaires parisien, ne croyez pas ceux qui vous assurent le contraire. Ce n’est pas une question de capacités, évidemment, mais bien de disponibilité pour un métier dévorant qui peut déborder sur la vie de famille… Les hommes y sont en général plus disposés, quoi qu’on en dise, au-delà de la seule question du congé de maternité. »
Le dossier est brûlant dans la profession : à leur compte ou dans un statut de collaboratrice libérale moins sécurisé que le salariat, les jeunes avocates sont peu protégées et craignent qu’un bébé sonne le glas de leur carrière. Au barreau de Paris, dix ans après leur prestation de serment, 30 % des femmes ont raccroché la robe… Les licenciements dès le délai légal expiré y ont longtemps été monnaie courante et le barreau a connu son lot de polémiques, parfois dramatiques, qui ont conduit le Conseil de l’Ordre à s’emparer du sujet.
Un retour au travail compliqué
Si l’annonce et le départ en congé maternité sont parfois des étapes pénibles pour les salariées, c’est bien le retour au travail qui est identifié comme un moment à haut risque. Très encadré par la loi, le congé maternité – six semaines avant l’accouchement et dix semaines après, davantage à partir du troisième enfant – est parfois attaqué de manière détournée. Pour Marie-Paule Richard-Descamps, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, « même si ce n’est pas une généralité, des employeurs se conduisent mal. Le petit jeu consiste à licencier allègrement les femmes quand elles veulent revenir, parfois en inventant une faute grave ». En novembre dernier, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi d’un employeur, confirmant le licenciement abusif d’une salariée enceinte dans un arrêt d’une symbolique jugée « très lourde pour les entreprises » par Me Richard-Descamps. « Les salariés restent très protégés par le droit du travail, estime la spécialiste. Et la tendance est clairement au renforcement de la protection des femmes enceintes, les juges s’y montrent favorables. »
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Quand on n’a pas de supérieur, on pourrait croire que c’est plus facile. Loin de là, explique Capucine Goalard, entrepreneur et créatrice de contenus, dont le dernier coup de gueule vient de rencontrer un vif écho via ses réseaux sociaux. « Il est grand temps de repenser cette période essentielle et de cesser de glorifier la mère épuisée qui tient bon coûte que coûte », lance la mère de deux enfants. Elle a vécu « deux congés assez particuliers », confie-t-elle, soumise à la dure réalité des indépendants, nettement moins bien indemnisés que les salariés : « Pour mon premier enfant, j’ai littéralement repris le travail à la maternité ! C’était épuisant, je me suis pris une sacrée baffe… Hors de question de revivre la même chose pour le deuxième : j’ai donc anticipé en travaillant beaucoup plus, pour avoir un peu de trésorerie et m’offrir trois mois pour être tranquille et apaisée… Si j’en ai un troisième, j’essaierai d’en profiter à fond, six mois, un an si je le peux. »
La fin du congé parental ?
Après son cri du cœur, Capucine a vu les témoignages affluer : « Ce qui en ressort, c’est finalement que les mères sont les grandes oubliées de la nation ! C’est quand même insensé, alors qu’on élève les citoyens de demain ! Et paradoxal : on nous parle de réarmement démographique, le gouvernement a fait des “mille premiers jours de l’enfant” une politique prioritaire… » Les femmes devraient être traitées de manière égalitaire, quelle que soit leur activité, y compris les mères au foyer, « le métier le plus difficile du monde… Dire que certains les voient comme des feignantes ! » s’élève la porte-voix des mères.
« Si j’ai des enfants, c’est pour m’occuper d’eux ! » Pour que chaque femme ait vraiment le choix, Capucine Goalard appelle à « une remise à plat complète, qui aboutisse à un véritable accompagnement qui ne repose pas uniquement sur le bon vouloir des proches ou les moyens financiers de chacune ». Elle compte rassembler les doléances recueillies dans une lettre ouverte à l’intention des dirigeants. De quoi s’immiscer dans le débat autour du nouveau « congé de naissance » ? « Quand j’ai vu ce projet, ça m’a un peu retourné l’estomac », souffle Capucine.
Le congé de naissance serait plus court et mieux rémunéré
Relancée par la ministre Aurore Bergé ce lundi, la réforme avait été annoncée l’an dernier par Emmanuel Macron. Le congé de naissance serait plus court (quatre mois par parent) et mieux rémunéré (la moitié du salaire est évoquée) que l’actuel congé parental, qui peut être renouvelé jusqu’à un maximum de trois ans mais n’est indemnisé que de 448 euros par mois au maximum. 14 % des femmes seulement ont recours au congé parental contre moins de 1 % des hommes : le nouveau système est destiné à favoriser une meilleure répartition des rôles. Pas de quoi rassurer celles qui appellent à délaisser une égalité indifférenciée qu’elles jugent illusoire. Elles prônent plutôt un meilleur accueil de la maternité dans toute sa singularité, gage d’une véritable liberté.
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