Depuis plusieurs décennies déjà, le milieu se purge régulièrement de toute sensibilité jugée indigne. Le pluralisme d’accord, mais dans les limites de ce qu’il juge lui-même acceptable. Or c’est justement le « pluralisme » que ce même monde journalistique prétend défendre lorsqu’il s’attaque au JDD, à CNews, ou lorsqu’il s’applique à défendre une décision de l’Arcom actant la suppression de la première chaîne de la TNT. Exit les manifs pour la liberté de la presse ou le droit à l’indépendance : la profession tente d’expurger, encore une fois, le corps étranger qu’elle a reconnu en elle.
Car depuis quelques années, les cibles ne sont plus seulement des individus, mais des médias entiers reconnus au cœur du système médiatique, et non plus que dans ses marges. Initialement, ces médias ont décidé d’inviter toutes les sensibilités en leur accordant la même attention, sans coller d’étiquette infamante à tel ou tel avant même qu’il ne s’exprime. Un comportement déjà scandaleux pour certaines personalités médiatiques ou politiques qui ont alors décidé de boycotter les médias en question… avant de leur reprocher leur manque de pluralisme ! Il fallait oser. Mais, peu à peu, c’est également la liberté éditoriale qui a été contestée : il existe un récit médiatique uniforme, le briser relève du blasphème.
En décembre 2023, la journaliste de France Inter, Élodie Forêt, se désolait par exemple que l’Arcom se contente de décompter le temps de parole des politiques sur CNews, et non celle des « journalistes [et des] essayistes alors que ce sont eux qui forgent le récit ». Elle semblait oublier que, si les journalistes de tel média ont le pouvoir de forger un récit par le choix, la hiérarchie et le traitement des sujets… tous l’ont.
C’est bien parce que certains médias brisent l’uniformité qu’ils sont haïs
Mais justement, c’est bien parce que certains médias brisent l’uniformité qu’ils sont haïs. La preuve par le rapport de François Jost, professeur émérite en sciences de l’information. Ce sémiologue avait été chargé par Reporters sans frontières de rédiger un rapport sur CNews, évoqué par le Conseil d’État dans l’une de ses décisions à l’encontre de la chaîne. Ce rapport use d’une méthodologie originale, en examinant « la sélection des informations et leur hiérarchie, en comparaison avec BFM ». La concurrence devient l’étalon de la bonne sélection des informations ! « CNews ne retient pas forcément les informations qui font l’actualité pour ses concurrents », note le rapport. Ou pire encore, martèle-t-il : « En insistant fortement sur les dangers de l’immigration et de l’insécurité, la chaîne crée un monde où l’information est sélectionnée en fonction de ses propres valeurs. »
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Mais jamais le rapport ne s’interroge sur les valeurs de ceux qui choisissent de ne pas en parler. Interdire, fermer, censurer, sanctionner… Certains médias ne méritent pas la liberté. Sans doute parce qu’ils empêchent leurs confrères de rêver le monde au lieu de le raconter. Lors d’une audition devant l’Assemblée nationale en juillet 2023, la présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, revendiquait en effet le droit à l’information fictionnelle : « Je tiens à dire qu’on ne représente pas la France telle qu’elle est […] mais on essaie de représenter la France telle qu’on voudrait qu’elle soit . » Pour que cela tienne, qui brise le rêve doit donc être purgé.
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