D’une obligation de quitter le territoire français à une interdiction d’en sortir. Qu’a vraiment dit l’influenceur algérien « Imad Tintin », également connu comme « Bledar de luxe » ? Entre décembre et janvier, Imad Ould Brahim, de son vrai nom, a publié plusieurs vidéos, dont une vue plus de 1,7 million de fois sur X, dans laquelle il appelait, en arabe, à « brûler vif, tuer et violer sur le sol français ». Seulement, personne n’est d’accord sur cette traduction. Résultat : l’homme de 31 ans jugé ce mercredi 5 mars pour « provocation directe à un acte de terrorisme » sur les réseaux sociaux, est libre, au moins jusqu’au 23 mai, date de renvoi de son procès.
« Dès le début, j’ai dit que c’était pas la bonne traduction », avait prévenu l’accusé avant la suspension de la séance. La présidente Béatrice Nicollet a ordonné un supplément d’information afin de « s’assurer des propos tenus » par le natif d’Oran et a requis son placement sous contrôle judiciaire avec obligation de pointer au commissariat d’Échirolles, près de Grenoble, une fois par semaine. Une expertise a été demandée par le tribunal correctionnel, qui a également prononcé une interdiction de quitter le territoire national à l’encontre de l’influenceur… visé par deux OQTF, l’une datant de 2022, la seconde de sa garde à vue dans le cadre de cette affaire.
Cinq traductions différentes
Imad Ould Brahim et ses proches, présents dans la salle cet après-midi, n’ont pas caché leur joie au moment de cette annonce. Ni leur colère à l’encontre de la presse à la sortie du tribunal : « Renseignez-vous avant de dire des conneries ! », a lancé l’un d’eux. Placé en détention depuis 58 jours, Imad Ould Brahim pourra retrouver son épouse de nationalité française et sa fille de quelques semaines dès ce soir. Arrêté le 3 janvier en banlieue grenobloise, et d’abord jugé en comparution immédiate, le jeune père avait requis un délai pour préparer sa défense. Il avait été incarcéré en attendant son passage devant la justice ce 5 mars, la présidente du tribunal évoquant des risques de pression sur des témoins ou de fuite à l’étranger.
Si le suspect semble bien installé en Isère, où il travaille de temps en temps « au black » depuis décembre 2021, une partie de sa famille – son père et deux de ses frères – demeure toujours en Algérie. Pays dont est également issu Chawki Benzehra, « activiste politique »autorevendiqué et réfugié en France à l’origine de la traduction des propos reprochés à Imad Ould Brahim. Un « montage », dénoncé par la défense qui a, de son côté, mandaté trois traductions qui contredisent cette interprétation. Selon l’avocat d’Imad Ould Brahim, sans les « coupures »réalisées par Monsieur Benzehra, qui a partagé et sous-titré plusieurs vidéos d’influenceurs algériens proférant des menaces en arabe, les paroles de son client ne sont pas répréhensibles et ne méritaient pas sa détention.
« Il y a déjà cinq traductions, une réalisée en garde à vue, trois produites par la défense et une de la commission rogatoire de Lyon », a détaillé Me Alexandre Rouvier. « Le ministère public en veut une sixième. Ça sert à quoi ? […] On n’est pas loin du n’importe quoi », s’est-il emporté. Et d’ironiser : « Vous pouvez en demander deux autres. Peut-être qu’avec un chiffre impair vous aurez une réponse. »
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Tensions avec l’Algérie
Cette énième affaire intervient dans un contexte de fortes tensions diplomatiques entre Paris et Alger, notamment autour de la souveraineté du Sahara occidental et du sort de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, incarcéré en Algérie depuis mi-novembre. « Doualemn », « Zazou Youcef », « Mahdi B. », « Kochihadz75 »… Depuis début janvier, huit influenceurs algériens sont visés par des procédures pour des propos haineux tenus sur les réseaux sociaux, en particulier sur l’application chinoise TikTok.
Pour rappel, après ses propos violents, Boualem Naman de son nom complet, avait été expulsé en Algérie par le ministère de l’Intérieur. Mais son pays d’origine avait refusé de l’accueillir. L’homme de 59 ans avait alors été placé en centre de rétention, avant que les juges de Melun ne suspendent son OQTF début février. Bruno Retailleau avait estimé qu’en renvoyant « Doualemn » vers Paris, l’Algérie avait cherché à « humilier la France ». De son côté, l’Algérie avait rejeté les accusations françaises « d’escalade » et « d’humiliation », en invoquant une « campagne de désinformation » contre Alger. Le 10 janvier, les avocats de Boualem Naman ont tenu une conférence de presse à Montpellier, estimant que les influenceurs algériens ne devaient pas devenir des « fusibles » dans les relations entre Paris et Alger.
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