Dire qu’on attendait le nouveau long métrage de Bong Joon-ho relève de l’euphémisme. En 2019, le réalisateur et scénariste sud-coréen, révélé en 2003 par le thriller Memories of Murder, gagnait la Palme d’or pour le chef-d’œuvre Parasite, bientôt suivi par le César du meilleur film étranger, un Golden Globe, quatre Oscars, deux Bafta Awards…
Pourtant, celui à qui tout réussit n’a pas pris la grosse tête, toujours aussi gentil, drôle et simple. Il revient aujourd’hui avec Mickey 17, qui met en scène l’acteur britannique Robert Pattinson dans le rôle d’un employé « jetable » d’une colonie d’êtres humains qui veut s’établir sur une planète inhospitalière, enneigée et peuplée de créatures autochtones en apparence menaçantes.
Le JDD. Quel est le secret du succès international de Parasite ?
Bong Joon-ho. Vous avez la réponse ? Moi pas ! Peut-être que l’alchimie a pris au début quand je plante le décor avec les deux familles, une riche et une pauvre. Tout le monde sait ce qu’est le capitalisme, même la Chine ! Et puis il y a cette scène où les personnages cherchent à se connecter au wifi avec leur smartphone, ça nous parle à tous. (Rires.)
Comment est né le projet de Mickey 17 ?
La suite après cette publicité
Il est vrai que le film paraît très différent de Parasite dans la forme : il s’agit de science-fiction, avec une navette spatiale et des extraterrestres. Mais finalement, je trouve que Mickey a beaucoup de points communs avec le garçon de la famille modeste dans Parasite : ils se démènent tous les deux pour vivre dans des conditions acceptables. Mickey est un pauvre type issu de la classe ouvrière, un perdant gentil, voire benêt, malchanceux, qui inspire la pitié avec ses chaussettes trouées et sa manière de se battre contre l’adversité pour tenter d’avoir un quotidien décent en dépit de sa condition précaire.
« En ce moment, je suis en train de travailler sur un dessin animé »
Parce qu’il ne possède aucun pouvoir. Le genre d’individu abusé et maltraité qui ne se plaint pas, ne s’énerve pas, encaisse sans broncher. J’ai eu un gros coup de cœur pour le roman d’Edward Ashton (Mickey 17), qui m’a subjugué. En particulier cette notion d’« impression humaine ». La simple association de ces deux mots ne devrait pas être. On imprime du papier, pas un être humain ! Voilà une aberration, une abomination. Cela pose un grave problème éthique, dont découle cette comédie noire.
À l’origine, Mickey était un historien. Pour ma part, j’ai souhaité qu’il soit à l’image du commun des mortels, voire légèrement en dessous. (Rires.) Il signe un contrat qui stipule qu’il sera un employé remplaçable : ses données biologiques et ses souvenirs sont ainsi sauvegardés, puis son corps est réimprimé autant de fois qu’il se fait tuer au cours d’expériences scientifiques délirantes. La société n’éprouve aucune culpabilité, après tout c’est son métier ! Quel genre de système pourrait autoriser une telle tragédie ? La raison pour laquelle j’avais envie de sauver, d’épargner, d’aimer ce héros malgré lui. Je crois que j’ai été beaucoup trop cruel, cynique et impitoyable avec mes personnages dans le passé.
Votre scénario est terriblement d’actualité !
Rien n’est prémédité, je ne dissocie pas les éléments que je veux injecter dans une intrigue. Je jette tout pêle-mêle sur le papier et je me dis que je vais trouver un équilibre à un moment donné. Je suis mon intuition, je reste alerte par rapport à ce qui se passe autour de moi. Tout est naturel, à part le processus d’écriture très solitaire et douloureux. (Rires.)
Je m’isole entre six à huit mois pour en venir à bout. J’avais envie d’adopter le point de vue de la jeune génération qui représente l’avenir, avec les défis qu’elle doit relever. En l’occurrence, conquérir une planète et y engendrer une descendance. Mais ils sont sous la coupe d’un régime autoritaire. J’ai songé à tous les grands leaders ou dictateurs du passé, comme le couple Ceaușescu, pour esquisser le tandem formé à l’écran par Mark Ruffalo et Toni Collette. J’ai achevé le scénario en 2021 et le tournage en 2022, et Mickey 17 fait finalement écho au présent. J’en suis le premier surpris. Je n’ai pas de boule de cristal. L’histoire se répète.
Les despotes se réimpriment-ils ?
Bien sûr. Regardez le chaos qui règne en ce moment en Corée du Sud. Mais je reste optimiste, sans doute à cause de l’âge : j’ai 56 ans ! Cependant, une angoisse subsiste : le progrès. En ce moment, je suis en train de travailler sur un dessin animé, avec une fabrication qui implique près de 150 artistes. Notre date butoir est fixée à fin 2026. J’ai fait un cauchemar où un type venait m’apostropher en me demandant pourquoi on se donnait autant de mal. Il fallait juste qu’on lise nos instructions à l’intelligence artificielle à une semaine de la sortie en salles et elle exécuterait tout le boulot en un temps record. Je lui ai dit d’aller voir ailleurs, et je me suis réveillé. (Rires.)
Chacun de vos longs métrages est une version différente de vous-même ?
Mais oui ! Il y a Bong 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, et maintenant 8. Chaque fois, mon corps et mon esprit en sortent complètement broyés, fatigués, éprouvés. Je ne sais pas si c’est bon pour ma santé, mais j’ai toujours l’impression de renaître quand j’ai une nouvelle idée. J’espère que le prochain Bong sera meilleur, avec davantage d’énergie. J’ignore si j’irai jusqu’à dix films, je serai peut-être mort avant ! En tout cas, Bong 8 est idéal en termes de poids, ma silhouette me convient. (Rires.) On dit que le cerveau et l’intelligence se développent à mesure qu’on vieillit, alors je croise les doigts.
Vous avez toujours une tendresse particulière pour les monstres au cinéma…
Oui. Les créatures extraterrestres surnommées « creepers » ne suscitent que dégoût de la part des humains. En réalité, elles ont davantage de sagesse et de dignité ! Mickey, en tant que « consommable », n’est rien ; alors, lui aussi n’inspire que du dédain. Les marginaux et les délaissés, ceux qu’on ne respecte pas, décident de s’entraider.
Pourquoi avez-vous choisi Robert Pattinson pour le rôle-titre ?
Il se démultiplie à l’écran : Mickey 17 génère à son insu Mickey 18. Deux personnalités totalement antagonistes. Il s’agissait donc d’un double rôle qui demanderait beaucoup de travail à un acteur. Mickey 17 ne me posait pas de souci car Robert a cette étiquette de gentil qui lui colle à la peau, de Harry Potter et la Coupe de Feu (2005) de Mike Newell à The Batman (2022) de Matt Reeves. Les héros, ça le connaît.
J’étais perplexe par rapport à Mickey 18, plus complexe. J’ai été rassuré par The Lighthouse (2019) de Robert Eggers, où il démontrait une folie que je n’avais jamais repérée en lui. Je lui ai envoyé mon scénario et il a tout de suite accepté. Il s’est bien amusé. Il a donné vie à ces personnages en apportant de la créativité et de la nuance aux descriptions qui figuraient dans le script. Il m’a impressionné, notamment quand il a improvisé des répliques drôles et décalées. Il a dépassé ses limites. On découvre une facette inédite de lui.
Le statut du réalisateur est-il plus enviable à Séoul qu’à Los Angeles ?
Jusqu’à la fin des années 1980, il était le patron, mais plus maintenant. (Rires.) On a été influencés par Hollywood. Désormais, il y a une énorme pression sur les épaules des cinéastes. À l’époque de Snowpiercer (2013), j’ai eu l’occasion de collaborer avec les Américains, même Harvey Weinstein… Le final cut est capital dans mon contrat, je ne transigerai jamais là-dessus. Mon agent le sait très bien. C’est la base, vous voilà prévenus !
Source : Lire Plus