Dimanche 2 mars, Bruno Retailleau s’offre la une. Mais pas n’importe laquelle : celle de la presse algérienne. « Macron désavoue Retailleau », fanfaronne El Watan, proche du pouvoir d’Abdelmadjid Tebboune. En sous-titre, l’euphorie est à peine maquillée : « Le président français rompt le silence et prône l’apaisement avec l’Algérie. » Tout est là. En refusant de toucher aux accords de 1968, Macron dynamite la ligne Bayrou-Retailleau et offre sur un plateau un motif de réjouissance à Alger. Que la presse algérienne jubile n’a rien d’un hasard : derrière ce titre, c’est un pouvoir qui salue la docilité française. Et à Paris, un gouvernement qui réalise qu’il vient de se faire marcher dessus.
On avait cru que la France s’apprêtait enfin à refermer le chapitre des privilèges migratoires accordés à l’Algérie. Après le comité interministériel sur l’immigration du 26 février, certains avaient même parié que François Bayrou trouverait le courage d’imposer un cap ferme face à Alger. Six semaines : c’est le délai qu’il avait fixé pour revoir « l’ensemble des accords migratoires ». Une « liste d’urgence » avait été transmise, recensant des profils jugés « sensibles », que Paris réclamait de voir expulsés sous peine de dénoncer les accords de 1968. Emmanuel Macron en a décidé autrement.
Surtout ne pas froisser Alger
Depuis Lisbonne, vendredi, le chef de l’État a balayé d’un revers de main l’ultimatum posé par son propre gouvernement. Lui qui se targue de ne jamais commenter la politique intérieure lorsqu’il est en déplacement n’a pas résisté à l’envie de recadrer (sans les nommer) son Premier ministre et son ministre de l’Intérieur. Hors de question de dénoncer « unilatéralement » ces accords qui confèrent aux Algériens un statut migratoire unique au monde. Ce serait « dénué de sens », tranche-t-il, en dénonçant les « jeux politiques » et ces débats qui « jettent de l’huile sur le feu […] Parler par voie de presse, ça ne marche jamais comme ça. » Mais de qui parle-t-il, au juste ? De la presse algérienne ou de Retailleau, qui croyait encore possible d’engager un bras de fer avec Alger ?
Au sein du gouvernement, la sortie du président a laissé des traces. Car l’idée d’un bras de fer avec l’Algérie ne fait plus seulement son chemin dans l’opinion, elle s’installe dans les couloirs de l’État. « Comment voulez-vous affronter Trump ou Poutine si on n’est pas fichus de se faire respecter par Tebboune ? », tacle un ministre. Dans un monde régi par les rapports de force, la diplomatie du gant de velours tourne à la capitulation. Huit ans que Macron tend la main à Alger. Huit ans de gestes, de discours, d’accommodements. Pour quel résultat ? Aucun.
« Comment voulez-vous affronter Poutine si on n’est pas fichus de se faire respecter par Tebboune ? »
L’Élysée aura beau jurer qu’il n’y a là aucun désaveu, personne n’est dupe. À commencer par la presse algérienne, qui se délecte. Depuis qu’il a plaidé, cet automne, pour un tour de vis diplomatique contre Alger, Retailleau affronte des vents contraires. Au sein de l’appareil d’État, certains l’accusent d’en faire trop, glissant que son amitié avec Boualem Sansal, emprisonné depuis novembre par le régime algérien, finirait par brouiller son jugement.
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Mais au-delà des murmures, c’est bel et bien une contre-offensive méthodique qui s’organise, à bas bruit, contre le ministre. Depuis des semaines, au Quai d’Orsay comme à l’Élysée, on s’affaire à désamorcer toute velléité de rapport de force avec Alger. Symbole du blocage : fin janvier, une réunion prévue à l’Élysée pour acter un durcissement a été sèchement annulée, sous la pression des diplomates, plus que jamais hostiles à l’idée de froisser Tebboune.
Quand la diplomatie tourne à la capitulation
Il aura fallu l’attentat de Mulhouse pour remettre le sujet sur la table. Lino Sousa Loureiro, ressortissant portugais, y a perdu la vie. L’auteur présumé ? Un Algérien multirécidiviste sous OQTF qui figurait sur la fameuse liste transmise à Alger, d’abord par Gérald Darmanin, puis par François Bayrou, sans effet. Quatorze demandes d’expulsion. Quatorze refus. Pour Retailleau, la coupe était pleine depuis longtemps. Il prônait l’épreuve de force. « Aujourd’hui, Macron a tranché. Il a choisi la ligne Tebboune-Villepin contre celle de Bayrou-Retailleau. Tout est dit pour la suite », glisse, amer, un ministre.
D’où ces voix qui réclament d’en finir avec les précautions oratoires. Place aux actes : réduction massive des visas, gels d’avoirs, blocage des élites, saisies immobilières, suspension de l’aide au développement, hausse des droits de douane, retrait des passeports diplomatiques… Toutes ces mesures que Macron s’est toujours refusé à envisager reviennent frapper à la porte.
Les annonces portées par François Bayrou avaient au moins le mérite de restaurer un semblant d’autorité. Rien de révolutionnaire mais un signal clair : il était temps d’exiger du respect. C’est ce qui rend le recul d’Emmanuel Macron aussi spectaculaire. Aux Français, il adresse un message désastreux. À Alger, un signal limpide : il ne se passera rien… Au fond, l’enjeu dépasse la relation franco-algérienne. Ce que cet épisode met en lumière, c’est une fracture béante entre Macron et son gouvernement. « Depuis qu’il est à Matignon, Bayrou tentait de tenir tête au chef de l’État. Mais cette fois, c’est Macron qui a frappé, glisse un ministre de premier plan. Brutalement. Et devant tout le monde. » Mais à quel prix ?
Partir ? Retailleau y pense…
Le désaveu ne restera pas sans conséquences. Il alimente déjà les oppositions. Retailleau, qui croyait avoir sécurisé l’appui de Bayrou face à Jean-Noël Barrot, se retrouve soudain fragilisé. Et à portée de tir du RN. Il n’aura fallu que quelques minutes à Jordan Bardella pour s’engouffrer dans la brèche : dénonciation immédiate du « désaveu présidentiel » et verdict sans détour : si Retailleau n’a plus les moyens d’agir, qu’il s’en aille.
En humiliant son ministre le plus populaire, Macron joue gros
Partir ? L’idée trotte dans la tête du ministre de l’Intérieur depuis son arrivée à Beauvau. Et c’est là le pari risqué d’Emmanuel Macron. En humiliant publiquement son ministre le plus populaire, il joue gros : provoquer un départ fracassant de Retailleau. Et, avec lui, l’éventuelle désertion de toute la droite. Voire la chute du gouvernement Bayrou.
Et si ce scénario devait se produire, les Français n’auront aucun mal à désigner le responsable. « Ni Matignon. Ni Beauvau. Ni l’Assemblée. Non : l’Élysée. Emmanuel Macron. Et ce jour-là, ce n’est plus Bruno Retailleau qu’on accusera d’impuissance, mais le président qu’on tiendra pour responsable », craint un ministre macroniste. Tout ça pour quoi ? Pour ménager Alger ? Pour préserver, encore, cette illusion d’un dialogue qui ne mène nulle part ? Il y a des capitulations discrètes. Et il y en a qui vous explosent au visage. Celle-là pourrait bien être la dernière.
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