
Les affaires étrangères devraient demeurer un domaine réservé. Il n’est pas très populaire de le rappeler, alors que l’empire de la transparence, jusqu’à l’obscénité, n’abandonne aucun espace hors de sa domination. L’injonction est connue : l’égalité des droits supposerait le nivellement des savoirs, lequel romprait les hiérarchies et permettrait de décider du sort du monde, à l’horizontale.
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Illuminés jusqu’à l’écœurement, les fameux toutologues nagent d’une expertise à l’autre, agençant le Proche-Orient, sauvant Kiev, protégeant Karthoum, récusant les sommets internationaux, traitant les grands de ce monde comme des idiots ou des fous. Et les politiciens, trop heureux de se vautrer dans le commentariat, suivent le mouvement, sans comprendre qu’en démocratisant l’indémocratisable, ils trahissent leurs vocations et amputent la chose publique de ce qui devrait faire sa grandeur.
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« L’Europe noie sa faiblesse dans l’hubris de ses projets attentatoires à nos souverainetés »
À cet égard, les protestations furieuses des petits cénacles devant les déclarations de la nouvelle administration américaine illustrent la surdité de nos élites. À Paris comme à Bruxelles, les récriminations pleuvent, les petits soldats de l’entente cordiale internationale geignent, souffrant de l’irruption de la puissance qui déséquilibrerait leurs compromis théoriques. Et comme ce sont des geignards créatifs, ils accompagnent leurs jérémiades de serments implacables : la création d’une défense européenne, l’abandon de la dissuasion nucléaire française à Bruxelles, le triplement des dépenses de défense dans une Europe ruinée, tout est rendu possible au son de leurs trompettes. C’est sûr, Jéricho tombera au son des lamentations de François Bayrou et de Nathalie Loiseau. Mais en réalité, rien n’avancera : ruinée, fracturée, l’Europe noie sa faiblesse concrète dans l’hubris de ses projets souvent infinançables et parfois complètement attentatoires à nos souverainetés.
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Les élites n’ont donc tiré aucune leçon du mépris des empires, russe, américain ou chinois pour le lyrisme technocratique européen. Elles n’ont pas compris que Poutine et Trump se moquaient bien de leurs embrassades, de leurs transformations des parlements en kermesses criardes et larmoyantes, toutes ces drogues que l’Union européenne s’injecte pour oublier son impuissance.
C’est très exactement le message qu’a formulé JD Vance dans son discours du 14 février dernier, à la Conférence de la sécurité de Munich. Les cris d’orfraies des clercs européens au sujet de l’attitude américaine concernant l’Ukraine ont masqué le cœur du message de l’auteur d’Hillbilly Elegy. Il a d’abord proposé une leçon pour le monde occidental en général : « Nous devons faire davantage que simplement parler de valeurs démocratiques. Nous devons les incarner ». Avant de s’adresser plus particulièrement à l’Europe : « J’ai beaucoup entendu parler, dans mes nombreuses et excellentes discussions avec les personnes réunies dans cette salle, de ce contre quoi vous devez vous défendre, et c’est évidemment important. Mais ce qui me paraît moins clair, et je pense que c’est aussi l’avis de nombreux citoyens en Europe, c’est la nature exacte de ce que vous défendez. Quelle est la vision positive qui anime ce pacte de sécurité, auquel nous accordons tous une si grande importance ? ». À force de péroraisons pour désigner des traîtres et répudier des alliés, le petit monde bruxellois n’a pas répondu à cette question. Il est en effet plus aisé de décrier – parfois à raison – la théâtralisation des mœurs diplomatiques de la nouvelle administration américaine que de répondre à cette question.
Mais ni Emmanuel Macron, ni Ursula von der Leyen n’oseront répondre car ils savent bien qu’aujourd’hui, l’Europe est faible car elle ne s’aime pas. Elle n’aime pas son passé tamisé par les wokistes, elle n’aime pas son avenir privé de croissance démographique et économique, elle n’aime pas non plus son présent, saturé par la peur des peuples qui taraude le Conseil européen. Que peut un continent qui ne s’aime pas ? Que peut une culture qui se déteste ? Que peuvent des dirigeants plus pressés d’organiser des cordons sanitaires dans les institutions européennes que d’associer leurs efforts pour sauver leurs civilisations ?
Si les dirigeants européens voulaient véritablement damner le pion à leurs concurrents, ils se rangeraient aux antiques lois de la politique : l’homogénéité culturelle pour prévenir les divisions, le refus de la haine de soi et de la culpabilisation systématique des peuples européens, la résorption de la dette publique qui hypothèque l’indépendance nationale, la priorité mise au savoir sur l’idéologie, pour libérer les talents et les audaces. Face à la société administrée que dessinent Emmanuel Macron et la Commission européenne, c’est l’ère des libertés que réclament les peuples, qui eux, ne veulent jamais mourir.
Si l’Europe ne veut pas être condamnée à regarder Poutine, Trump, Modi, Erdogan, Xi Jinping et les autres faire le XXIe siècle sans elle, notre continent doit s’extirper du socialisme mental et de la haine des identités qui l’ont forgée pendant des millénaires. L’Europe a été la terre la plus féconde du monde, et la France fut longtemps le joyau de cet écrin : c’est à l’effort pour rebâtir cette puissance que nous sommes appelés, pas aux déclamations, pas aux lamentations, pas aux trémolos.
Geignons moins et aimons-nous davantage. C’est à cette stricte condition que nous ne regarderons pas avec angoisse chaque conférence de presse des Puissances qui veulent faire sans ou contre, le continent qu’elles méprisent à force de le jalouser.
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