
Tous les ingrédients sont là. Le mode opératoire, le contexte, l’auteur… Mais pour la justice, il ne s’agit pas d’un « attentat terroriste ». Ullah S. sera jugé par la cour d’assises du Val-d’Oise à partir de mercredi, pour tentative d’assassinat. Et rien d’autre. Le parquet national antiterroriste a décliné sa compétence dans ce dossier. Au motif que l’agression « ne semblait pas s’inscrire dans le cadre d’une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Terroriste ou pas, il encourt la même peine : la réclusion criminelle à perpétuité. Sauf surprise, Anthony ne sera donc pas reconnu comme une victime du terrorisme islamiste. Mais il en est certain, si son agresseur s’en était pris à un policier, ce 25 septembre 2020, l’histoire n’aurait pas été la même.
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Il est 21 h 50 quand ce directeur du KFC de Garges-lès-Gonesse se présente devant le commissariat de Sarcelles. Il vient déposer plainte contre un client. Alors qu’il attend que la porte s’ouvre, un individu s’approche et lui assène deux coups de feuille de boucher au niveau de l’oreille gauche puis de la carotide. Il entend très distinctement cet homme, de type extra-européen, crier « Allah Akbar ». La scène survient dix heures et cinq minutes après l’attaque commise au hachoir, à proximité des anciens locaux de Charlie Hebdo, en plein cœur de Paris. Cet attentat sera immédiatement – et à juste titre – qualifié de terroriste dans un contexte de republication des caricatures de Mahomet et en plein procès de l’attentat qui avait décimé la rédaction en janvier 2015. Sidérés par la réplique rue Nicolas-Appert, les médias ne relayent que très peu l’agression d’Anthony ; seule une dépêche de l’AFP subsiste en ligne.
Terroriste ou pas, Ullah S. encourt la réclusion à perpétuité
L’assaillant, dissimulé sous une couverture et le visage masqué, disparaît dans la nature. Mais laisse son ADN sur l’arme du crime retrouvée dans un buisson : elle permettra de le retrouver par hasard.Un an plus tard, des policiers de La Courneuve (Seine-Saint-Denis) entrent dans le fichier un profil, celui d’un Pakistanais qu’ils viennent d’interpeller pour s’être bagarré avec un cutter. Très agité et alcoolisé, l’homme crie « Allah Akbar » pendant son trajet jusqu’au commissariat. Son ADN correspond en tout point avec celui enregistré dans la procédure de Sarcelles. Cet homme s’appelle Ullah S., il est arrivé en France deux ans auparavant par le biais d’un passeur, avant de rejoindre son frère qui vivait en région parisienne depuis près de 8 ans. Après une première demande d’asile rejetée, il était au moment de son interpellation visé par une obligation de quitter le territoire français (OQTF).
Interrogé sur les faits de Sarcelles, le suspect répond ne pas se souvenir d’une quelconque agression. Mais, paradoxalement, il se rappelle parfaitement l’attentat commis à proximité des anciens locaux de Charlie Hebdo. « Il répondait avoir été informé via les réseaux sociaux », relève la juge d’instruction dans son ordonnance de mise en accusation. Selon lui, les journalistes de Charlie Hebdo ont « eu tort » de publier les caricatures. Peut-on tuer pour des caricatures ? « On ne peut pas dessiner quelqu’un sans l’avoir vu […] Je ne sais pas ce que Dieu ou le prophète a pu ordonner. » Peu clair, Ullah S. sait entretenir le flou dans ses réponses et le mystère autour de ses intentions. Malgré de lourdes blessures, Anthony a survécu. « Il a ce désagréable sentiment d’amertume et de frustration que cette affaire n’a pas été traitée comme elle aurait dû l’être, à savoir par la justice antiterroriste », rapporte son avocate, Me Pauline Ragot, qui soulèvera ce point devant la cour.
Les coïncidences sont plus que troublantes : deux attaques à quelques heures d’intervalle, même mode opératoire, même nationalité des auteurs, des victimes ciblées au cri de « Allah Akbar »… Le tout dans un contexte international tendu où les dirigeants du mouvement islamiste pakistanais Tehreek-e-Labbaik appelait à des manifestations antifrançaises. « Le parquet national antiterroriste a l’opportunité de la saisine. Il n’est pas tenu de motiver ses refus », justifie une source judiciaire. Mercredi, Anthony sera combatif à l’audience. Prêt à affronter les mots de son bourreau. La dernière fois qu’il l’a vu, c’était le 1er décembre 2022, lors de la confrontation. Dans un sadisme glacial, face à lui, Ullah S. lançait à la juge d’instruction : « J’aimerais voir les blessures. Voir pourquoi ma vie est foutue à cause de lui. J’aimerais voir. On m’a fait perdre tellement de temps, j’ai au moins le droit de regarder ses blessures. »
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