Derrière la crise diplomatique entre Paris et Alger se joue une autre crise bien moins médiatisée, mais dont les conséquences risquent de se révéler dévastatrices. Depuis quelques temps déjà, la haine anti-France du régime algérien cible la langue de Molière dans de nombreuses écoles du pays. Une véritable chasse à l’enseignement du français est ainsi méthodiquement organisée par le ministère de l’Éducation algérien dans tous les établissements privés où prévalait il y a encore peu la possibilité d’un enseignement mixte dans les deux langues, arabe et français. Désormais, le privé est appelé à s’aligner sur le public et à ne prodiguer qu’un seul et unique enseignement en arabe.
La francophonie se meurt et nous regardons ailleurs
Ce mouvement d’arabisation entamé de longue date s’est considérablement accéléré ces dernières semaines avec une recrudescence d’inspections surprises dans les classes pour vérifier que les consignes sont bien appliquées. Et gare aux établissements récalcitrants qui, pour certains, ont dû définitivement fermer leur grille. Quant aux élèves qui manifestent une trop grande appétence pour le français, ils sont vite découragés.
C’est le cas par exemple des élèves algériens du lycée Alexandre-Dumas qui, une fois leur bac français en poche, ont beaucoup de difficultés à poursuivre un cursus universitaire. Ce lycée français, le seul en Algérie, très prisé par la nomenklatura locale qui use de tous les moyens pour y inscrire sa progéniture, est paradoxalement la cible de cette même nomenklatura symbolisant le régime algérien. Tout cela est particulièrement révoltant quand on sait que nos responsables politiques en France n’accordent que très peu d’importance à cette situation qu’ils jugent irréversible.
L’arabisation s’est considérablement accélérée ces dernières semaines en Algérie
Il m’est arrivé à plusieurs reprises d’alerter sur ce sujet sans recevoir de réponse convaincante comme si nous avions déjà acté notre perte d’influence et l’affaiblissement d’une francophonie qui n’est plus que l’ombre d’elle-même. Je me souviens comme si c’était hier de l’ambiance qui régnait au lycée français de la Marsa en Tunisie, surnommé le lycée « cailloux » du nom de Maurice Cailloux, ingénieur agronome dont la veuve permit, par une donation, la création sur le site d’un établissement scolaire.
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Le choix d’une langue, le choix d’une patrie
Heureux et insouciants, nous avons grandi ensemble. Tunisiens et enfants d’expatriés français, musulmans, juifs et catholiques, nos histoires de vie et d’amour de jeunesse étaient entremêlées. Nos parents avaient eux aussi usé leurs fonds de culotte sur les bancs d’un établissement tricolore renommé, le lycée Carnot, qui a vu entre autres passer le dessinateur Wolinski ou encore le comédien et humoriste Michel Boujenah. À Carnot ou à Cailloux, nous parlions indistinctement arabe et français sans nous soucier de savoir quelle langue devait primer pour plaire au pouvoir ou respecter je ne sais quel règlement. Ils nous arrivaient même de mélanger les deux langues dans une même phrase afin de mettre à rude épreuve les nerfs de nos professeurs.
C’est à cette époque que j’ai appris à aimer la France. Certains diront qu’il s’agit là des restes du protectorat français en Tunisie avec des lycées dont la mission était justement de faire adhérer aux valeurs de l’Hexagone. Pour ma part, j’y voyais d’abord l’éclatant rayonnement de la francophonie. Comme l’a si justement écrit Boualem Sansal, cette même francophonie qui peut et doit réenchanter le monde. Nous en sommes loin, hélas. Ce fut d’ailleurs l’objet de notre conversation avant son retour en Algérie et son enfermement dans les geôles du régime. « Je suis né d’origine berbère dans une Algérie qu’on appelait le bled à mon époque, m’a-t-il expliqué ce jour-là. Puis je me suis reconnu pleinement dans la langue française que j’aime par-dessus tout. Est-ce que ça fait de moi un bon Français et un mauvais Algérien ? » Il a posé cette question avec un air faussement ingénu et son sourire tendre et malicieux à la fois.
La langue est une arme à double tranchant. Boualem Sansal sait mieux que personne que choisir une langue, c’est aussi choisir une patrie. Reste maintenant à savoir si sa patrie va tout faire pour le sauver. Lui, en tous les cas, aura tout fait pour elle.
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