Barrages militaires de fortune, contrôle obligatoire. Nous traversons la Ghouta, en périphérie de Damas. Sur plusieurs kilomètres, ce ne sont que des paysages d’apocalypse : des immeubles couchés, des mosquées éventrées par les bombes. Après 45 minutes de voiture, nous apercevons les flancs escarpés des montagnes rocailleuses et enneigées du Qalamoun.
En contrebas se trouve l’un des plus anciens villages du christianisme oriental. Maaloula, qui signifie « entrée » en araméen, porte bien son nom. Au cours des siècles, les chrétiens ont trouvé refuge dans ses grottes troglodytes. Ses habitants parlent encore la langue du Christ. À peine arrivés sur la place centrale, la spiritualité du lieu prend tout son sens lorsqu’on entend au loin l’ode de Fairouz, Ya Mariam El Bekr (Ô Vierge Marie). Cette mélodie de l’intemporelle chanteuse libanaise résonne en écho trois fois par jour.
Plusieurs familles ont déjà pris la route qui mène à Damas
Véritable lieu de pèlerinage, avant la guerre, plusieurs milliers de touristes s’y rendaient. Neuf ans après son occupation par les djihadistes d’al-Nosra, les cicatrices de la guerre restent présentes : impacts de balles sur les murs, icônes vandalisées dans les lieux chrétiens. L’hôtel Safir qui surplombe la ville est littéralement en lambeaux. Des douilles jonchent encore le sol. Le dernier registre de l’établissement date de 2011 et mentionne le nom de touristes turcs.
Depuis la prise de Damas par les djihadistes d’HTS, les 2 000 âmes chrétiennes du village craignent le pire. Dans les ruelles étroites et escarpées, nous rencontrons Firas, un agriculteur. L’homme d’une soixantaine d’années nous explique que les habitants ne se sentent plus en sécurité. « Depuis la chute de Bachar, la communauté musulmane a commencé à retourner au village », indique-t-il en précisant que la plupart d’entre eux avaient rejoint le bastion rebelle islamiste d’Idlib lorsque la ville avait été reprise par le régime de Damas en 2014. « On ne peut avoir confiance. En 2013, quand les djihadistes sont arrivés sur leurs pick-up avec des kalachnikovs, nos voisins musulmans que nous connaissions depuis des décennies n’ont pas hésité une seconde à les rejoindre. » Firas et ses amis ont participé activement à la défense de leur ville. Appuyés par les membres du Hezbollah libanais, ils ont réussi à reprendre les lieux. « Nous avions notre QG dans la crypte d’une église ».
Chrétiens et musulmans se côtoient sans se parler, sans se connaître
Aujourd’hui, plusieurs dizaines de familles musulmanes sont retournées à Maaloula. La seule mosquée de la ville reprend petit à petit du service. Sur la place centrale de cette petite bourgade, un calme précaire s’est installé. Chrétiens et musulmans se côtoient sans se parler, sans se connaître. Chaque communauté dispose de ses propres échoppes. Un ancien élu du village nous reçoit. Partisan de la première heure du Baas, parti politique de la famille Assad, l’homme se fait très discret et craint les représailles. « Nous marchons sur des œufs, nous n’avons aucune garantie sécuritaire. Si demain je me fais tuer dans les montagnes, il n’y aura aucun tribunal, aucune justice », alerte-t-il. Dans sa main droite, il serre un chapelet et peine à imaginer un avenir apaisé pour la communauté chrétienne. « Tout le monde a peur, reste chez soi, personne n’ose sortir de peur de subir une persécution. » Les treize églises et chapelles de Maaloula « risquent de se vider », s’inquiète-t-il encore.
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Pour des raisons économiques mais surtout sécuritaires, plusieurs familles ont déjà pris la route qui mène à Damas. « Mes voisins sont partis dans la capitale », rapporte Firas. Il insiste sur le fait que la majorité souhaite quitter le pays pour rejoindre le Liban ou les pays du Golfe. La peur de l’avenir se ressent dans les yeux de cet homme qui n’a connu que Maaloula. Quand on lui pose la question de savoir s’il compte un jour quitter le village, sa réponse est sans équivoque : « Je suis né ici, je mourrai ici. »
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