Le parquet de Bucarest n’y est pas allé de main morte. Jeudi dernier, alors qu’il circulait à bord de sa voiture pour aller déclarer sa candidature à la présidentielle du mois de mai, Călin Georgescu a été arrêté par la police roumaine. Il a été conduit au tribunal dans une scène digne d’un pays d’Amérique du Sud, mais pas d’un membre de l’Union européenne. Il a ensuite été inculpé pour avoir fait de « fausses déclarations » sur le financement de sa campagne électorale. Il a été finalement libéré le lendemain avec interdiction de s’exprimer dans la presse ou sur les réseaux sociaux.
Avant l’élection présidentielle de novembre dernier, personne ou presque ne connaissait Călin Georgescu. Il avait créé la surprise en se qualifiant pour le second tour de la présidentielle avec 23 % des voix, éliminant le Premier ministre sortant, le social-démocrate Marcel Ciolacu, avec de bonnes chances de l’emporter. Officiellement, le scrutin a été annulé en raison de soupçons d’ingérence russe via une manipulation algorithmique sur TikTok au profit de Georgescu. À l’époque, même la candidate arrivée en deuxième position, la libérale Elena Lasconi avait protesté contre cette décision. La Commission européenne, elle, a ouvert une enquête au sujet de l’ingérence russe qui n’a toujours pas abouti.
Des méthodes dignes de la Securitate
Jeudi encore, les autorités ont perquisitionné les locaux de son mouvement et de la chaîne de télévision qui le soutient à la recherche de fausses déclarations sur les financements de campagne, mais aussi de preuves pour atteinte à l’ordre constitutionnel, détention d’armes, troubles à l’ordre public, création d’une organisation raciste et apologie de crimes de guerre. Une avalanche de griefs qui s’apparente à de l’acharnement lié à une crainte réel de le voir remporter le prochain scrutin. Les méthodes d’intervention et d’inculpation ne sont pas sans rappeler les procédés de la Securitate, la police politique de l’ancien régime, équivalent du KGB chez les Russes ou de la Stasi en RDA. Des méthodes qu’on croyait d’un autre âge mais qui ne sont que l’illustration du fait qu’en Roumanie, une bonne partie des structures de l’ancien régime sont restées en place et agissent désormais au service du nouveau pouvoir et de la « démocratie ».
Il n’empêche que, depuis la chute des époux Ceausescu, les Roumains se sont habitués à l’exercice démocratique. L’annulation de l’élection de novembre par la Cour constitutionnelle du pays a été vécue par le peuple comme un déni de démocratie. À ce stade, rien n’indique que la popularité dont bénéficiait Călin Georgescu en novembre ait diminué, au contraire. Sans compter que, si on le soupçonne de tous ces chefs, pourquoi l’avoir laissé se présenter à l’élection en novembre, une bonne partie de ces accusations étant censées déjà exister à l’époque ?
Georgescu s’est défendu sur son compte Facebook. « Ils essaient d’inventer des preuves pour justifier le vol des élections et font tout ce qu’ils peuvent pour bloquer une nouvelle candidature présidentielle de ma part », a-t-il écrit. Il a reçu le soutien d’Elon Musk, celui de Robert Kennedy Jr. dont il est un ami proche et, surtout, l’annulation de l’élection de novembre qui devait le porter au pouvoir a été commentée par le vice-président américain J.D. Vance lors de son discours à la Conférence sur la sécurité de Munich et dénoncée comme un exemple des dénis de démocratie que la nouvelle administration perçoit sur le Vieux Continent.
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Le soutien à l’Ukraine dans la population roumaine a fortement décliné
À l’inverse, l’UE redoute son élection. La Roumanie était jusqu’ici arrimée au camp de l’Europe et à celui de l’Otan. Une base importante de l’organisation s’y trouve, dans la région de Costanza sur les bords de la mer Noire où un contingent français séjourne actuellement. Călin Georgescu qui, par le passé, a exercé des fonctions dans divers ministères et travaillé pour des ONG, se retrouve brusquement classé à l’extrême droite, complotiste et pro-russe. « À l’instar de Vladimir Poutine, il apparaît dans des vidéos en train de pratiquer du judo, dont il est ceinture noire, la piscine, l’équitation, le marathon, de porter un costume traditionnel, ou encore allant à la messe », explique sa fiche Wikipédia, une encyclopédie en ligne dont la probité est légendaire. On en frémit. Si pratiquer le judo ou aller à la messe sont des signes d’allégeance à Poutine, où va-t-on ? Le seul tort de Georgescu est d’être hostile à la guerre en Ukraine et, si le scénario devait se matérialiser, au fait d’envoyer des troupes roumaines combattre là-bas.
L’axe des rebelles
La Roumanie possède une frontière avec l’Ukraine. Une minorité roumaine vit en Ukraine où elle compose environ 1 % de la population. Elle est donc concernée et le soutien à l’Ukraine dans la population a fortement décliné. L’élection de Georgescu viendrait en outre renforcer l’axe des rebelles de l’Est, emmené par la Hongrie, également pays frontalier, et la Slovaquie, ce qui aggraverait une stratégie européenne à la peine depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump et son souhait de retirer les États-Unis de la guerre en Ukraine.
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