
Une « victoire historique » pour les uns, une décision « ubuesque » pour les autres, c’est peu dire que la décision du Tribunal administratif de Toulouse était attendue. Ce jeudi, la juridiction a annulé les autorisations environnementales dont bénéficiait l’autoroute stoppant sur le champ le chantier. Les cinquante-trois kilomètres de la discorde devaient relier, d’ici à la fin de l’année, Verfeil, près de Toulouse à Castres. « Ce verdict est une victoire du droit de l’environnement sur la politique du fait accompli et sur l’absurdité d’un projet qui n’aurait jamais dû être engagé », se félicite Alice Terrasse, avocate des quatorze associations à l’origine du recours déposé en juin 2023. Le verdict accueilli par les cris de joie des opposants met fin à une lutte débutée il y a presque deux décennies.
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Manifestations d’ampleur, occupations des arbres, création d’une ZAD, la mobilisation a pris une tournure nationale en 2018 lorsque le préfet du Tarn déclare le projet d’utilité publique. L’année suivante, Élisabeth Borne, alors ministre des Transports, déclare le chantier priorité nationale. L’autoroute, soutenue notamment par la présidente PS de la Région Occitanie, Carole Delga, devait selon les autorités « désenclaver » le bassin de Castres-Mazamet. Cette autoroute est « un choix d’aménagement décisif pour l’avenir de tout un territoire » expliquait Maxime Yasser Abdoulhoussen, conseiller du préfet du Tarn.
Le jugement rendu jeudi 27 février par le tribunal administratif fait dès lors figure de camouflet. « Après avoir examiné les arguments avancés par les préfets de la Haute-Garonne et du Tarn, le tribunal estime qu’ils sont insuffisants », écrit-il, ajoutant qu’« au vu des bénéfices très limités qu’auront ces projets pour le territoire et ses habitants, il n’est pas possible de déroger aux règles de protection de l’environnement et des espèces protégées ». La juridiction s’appuie notamment sur le fait que « le coût élevé du péage du projet A69 est de nature à en minorer significativement l’intérêt pour les usagers et les entreprises ». Le tribunal administratif a ainsi suivi les conclusions de la rapporteuse publique, Mona Rousseau, juge indépendante, qui avait requis en novembre dernier l’annulation du projet estimant qu’il n’y avait pas de « raison impérative d’intérêt public majeur » (RIIPM) justifiant les dérogations environnementales. « Refuser de reconnaître cette RIIPM, c’est adresser un message clair aux habitants du sud du Tarn : vous ne méritez pas ce développement économique », avait prévenu Maxime Yasser Abdoulhoussen en amont de cette décision. Pour Alice Terrasse, ce verdict – le premier sur le fond du dossier – « envoie le signal fort qu’il peut y avoir des décisions en droit et non pas en suivant des considérations financières ou de simples opportunités politiques ».
300 millions d’euros ont déjà été injectés dans ce chantier
Dans le viseur de l’avocate : Pierre Fabre, groupe pharmaceutique et dermo-cosmétique, principal employeur du sud Tarn, à l’origine du projet d’autoroute et dont l’ombre plane derrière ce chantier depuis trente ans. Quelques heures après le jugement, le groupe a réagi avec force, menaçant de « privilégier des territoires d’accès plus rapide, mieux sécurisé et mieux profilés » si le chantier ne reprenait pas. Pierre Fabre peut compter sur le soutien de l’État, qui a annoncé, dans la foulée du verdict, faire appel de la décision, dénonçant par la voix de son ministre des transports, Philippe Tabarot, une « situation ubuesque » avec « un chantier avancé aux deux tiers ». 300 millions d’euros ont en effet déjà été injectés dans le chantier, selon le constructeur Atosca. Le futur concessionnaire de l’autoroute rappelle en outre qu’un millier d’employés présent sur le chantier voient leurs emplois menacés par cet arrêt.
Du côté des opposants, hors de question de porter la responsabilité de cette lourde facture : « L’État et Atosca ont sciemment décidé de démarrer les travaux sur une autorisation réglementaire bancale » retoque l’association France Nature Environnement. « C’est eux les fautifs, ils savaient que le projet n’était pas viable mais ils nous ont emmenés dans le mur […]. Nous on veut tourner la page de ce fiasco », s’insurge Geoffrey Tarroux du collectif La Voie est Libre qui rappelle que 1 500 scientifiques avaient demandé l’arrêt du projet en octobre 2023 dans une lettre ouverte adressée à Emmanuel Macron.
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Le bras de fer est loin d’être terminé. En faisant appel, l’État a demandé un sursis exécutoire en procédure d’urgence au tribunal administratif d’appel qui doit décider de la reprise ou non du chantier. Le dossier sera ensuite examiné dans le fond et pourrait passer devant le Conseil d’État. Par ailleurs, en août dernier, trois plaintes ont été déposées au pénal par plusieurs collectifs d’opposants pour « trafic d’influence », « destructions illégales » ou « prise illégale d’intérêt ». Avec encore des années de procédures en perspective, l’autoroute A69 n’a pas fini de diviser.
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