En déplacement au Portugal, Emmanuel Macron a désavoué le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau qui réclame une mise à plat des accords avec l’Algérie ; tout comme son Premier ministre François Bayrou qui avait posé un ultimatum au pays quelques jours plus tôt. « La France ne dénoncera pas unilatéralement les accords de 1968 », a déclaré le président de la République, jugeant que l’option n’avait même « aucun sens » et lui préférant la poursuite des discussions diplomatiques. Mercredi, François Bayrou avait pourtant revêtu des gants de velours, jurant ne vouloir verser ni dans « l’escalade » ni dans la « surenchère ». Mais, à l’issue du comité interministériel de contrôle de l’immigration (Cici), il avait quand même donné six semaines à Alger pour réadmettre sur son territoire une trentaine de ressortissants algériens indésirés en France, sous peine de voir les accords migratoires entre les deux pays remis en cause.
C’est l’attentat de Mulhouse, et la mort du ressortissant portugais Lino Sousa Loureiro, qui avait été la goutte d’eau : l’assaillant présumé, de nationalité algérienne, déjà condamné et frappé d’une OQTF, se trouvait en effet dans cette liste de noms évoquée par François Bayrou et déjà communiquée à l’Algérie à deux reprises par l’ancien ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Sans succès. François Bayrou a insisté, jugeant inadmissible que la France ait réclamé à l’Algérie de reprendre ce ressortissant-là… à quatorze reprises, en vain.
La nouvelle avait déjà provoqué la colère publique de Bruno Retailleau, qui appelle à un bras de fer avec l’Algérie depuis déjà des semaines. Dans son entourage, on imagine même un carpet bombing à la Trump, une combinaison de mesures aux niveaux national et européen pour contraindre l’Algérie à « respecter le droit international, et notamment l’accord de Chicago de 1994, qui stipule qu’un ressortissant détenteur d’une carte d’identité algérienne doit pouvoir retourner dans son pays sans délivrance de laissez-passer consulaire ». Accord non respecté par l’Algérie qui avait refusé de réintégrer plusieurs de ses ressortissants, pourtant détenteurs de papiers algériens à jour.
La France aimerait profiter d’un « consensus » au sein des 27
Et puisque le président américain a fait des droits de douane son arme diplomatique fétiche, pourquoi ne pas faire de même en Europe ? D’après nos informations, Paris a envoyé des signaux à Bruxelles pour que l’accord d’association entre l’Algérie et l’UE actuellement discuté soit renégocié : il prévoit, en effet, la suppression totale des droits de douane à la faveur d’Alger. Autre levier évoqué, à l’échelle européenne toujours, une réforme de l’article 25-bis du code communautaire des visas de Schengen, qui prévoit des sanctions financières en cas de refus de réadmission par des pays tiers. Paris aimerait aller plus loin, en proposant notamment la possibilité de réduire la quantité de visas de court séjour accordés aux pays non coopératifs. « On explore toutes les solutions. Mais il faut comprendre que le droit de l’éloignement relève aujourd’hui largement du droit européen », précise une source gouvernementale. Alors que la présidence de l’Union européenne échoit à la Pologne, pays réputé pour sa fermeté migratoire, la France aimerait profiter d’un « consensus idéologique » au sein des 27. « Mais des pays vont bloquer, l’Italie notamment, qui a fait de l’Algérie son nouveau partenaire gazier », tempère un diplomate auprès du JDD.
Quoi qu’il arrive, cette contre-offensive européenne pourrait mettre des mois à prendre forme, sans même parler de son aboutissement. En attendant, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a donc annoncé mettre en place des « mesures de restriction de circulation et d’accès au territoire national pour certains dignitaires algériens ». Dignitaires (notion très large en Algérie) qui, grâce à leurs passeports diplomatiques et dans le cadre d’accords franco-algériens, pouvaient se déplacer en France sans aucun visa. Mais là encore, la décision reste frileuse : le Quai d’Orsay a prévenu que ces restrictions étaient « temporaires » et prendraient fin si Alger montrait sa bonne volonté. Dans le même temps, selon nos informations, le ministère des Affaires étrangères a fait valider, lors du Cici, la mise en œuvre de l’article 47 de la loi du 26 janvier 2024 : il stipule que la délivrance de visas nationaux est conditionnée à la bonne coopération migratoire de tous les pays tiers. « Une réelle avancée », se félicite-t-on dans l’entourage du ministre. Dernier levier, évoqué par Beauvau notamment, l’aide publique au développement. Cette fois-ci, c’est Bruno Retailleau qui joue des coudes pour obtenir une place au conseil d’administration de l’Agence d’aide au développement, actuellement sous la double tutelle de Bercy et du Quai d’Orsay.
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Cette contre-attaque a forcément fait réagir le ministère algérien des Affaires étrangères : « Les manquements constatés aux obligations nationales et internationales sont le fait de la partie française, comme en témoigne le recours abusif et arbitraire aux décisions administratives d’éloignement des ressortissants algériens, les privant de l’usage des voies de droit. » Une déclaration qui renvoie au cas de l’un des « influenceurs » algériens, qui demeure absolument inepte pour le cas de l’assaillant de Mulhouse, condamné par la justice elle-même à une interdiction de territoire… Concernant les accords, Alger a dit rejeter « catégoriquement les ultimatums et les menaces ». Ultimatums de toute façon rejetés par Emmanuel Macron lui-même.
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