C’est un peu la « Folly » pour lui en ce moment. À peine rentré de Montréal et de New York pour la promotion de son saisissant premier roman, Benoît Blues (Mémoire d’Encrier), le comédien est à l’affiche de deux pièces, et non des moindres : Bérénice, la tragédie de Racine mise en scène par Jean-René Lemoine, et Dolorosa, une variation des Trois Sœurs de Tchekhov transposée dans notre société contemporaine, sous la direction de Marcial Di Fonzo Bo. Jean-Christophe Folly y incarne en alternance le rôle de Georg, le philosophe amoureux de Macha. « J’aime ce personnage en décalage complet qui apparaît et disparaît sans cesse, dit-il. La pièce ne manque pas d’humour, on s’amuse et on rit beaucoup. »
Avec Bérénice, on change totalement de registre. Dans une mise en scène très dépouillée et quasi hypnotique, taillée à l’os de l’œuvre de Racine que l’on redécouvre dans toute sa musicalité, au souffle et à l’intonation près, il interprète un Titus solaire et tourmenté, obligé de sacrifier sa passion à la raison d’État. « C’est effectivement un parti pris radical, sans décors ni accessoires, juste un plateau doré et des mots, explique le comédien. Il s’agit d’un beau challenge : nos corps ne bougent qu’à peine, il faut trouver la liberté à l’intérieur de nous. Plutôt que de tordre le texte dans tous les sens pour le faire comprendre, on doit le laisser s’emparer de nous-mêmes, puis des spectateurs, un peu comme un sachet de thé qui infuse. »
Cette pièce marque aussi les retrouvailles entre les deux hommes. Il y a vingt-deux ans, Jean-René Lemoine a été le premier à offrir sa chance à Jean-Christophe Folly en lui offrant un rôle dans La Cerisaie. « J’étais un peu une tête brûlée à l’époque, rappelle ce dernier. Il m’a canalisé et m’a beaucoup soutenu. Je sortais du cours Claude Mathieu qui était le monde des Bisounours pour entrer au Conservatoire, où je me suis senti trop livré à moi-même. Il m’a conseillé de le voir plutôt comme un outil et de ne pas le subir. Une belle amitié est née entre nous. »
Inscrit à ses premiers cours de théâtre par sa mère pour l’aider à surmonter sa timidité, l’acteur franco-togolais avait pourtant un autre souhait enfant, celui de devenir footballeur. Mais il n’était pas assez bon, contrairement à son frère qui fera toute sa carrière comme professionnel dans plusieurs clubs anglais en Premier League. « Je fais encore souvent des rêves où je joue au foot, je dribble et je mets des buts ! » raconte Jean-Christophe Folly. Mais s’il a lâché le ballon rond, il n’a jamais manqué d’équipiers. À l’école Claude Mathieu, il rencontre la dramaturge Marie Ballet qui va le diriger plusieurs fois, et Jean Bellorini, aujourd’hui directeur du Théâtre national populaire de Villeurbanne (TNP). Ils ont partagé pas mal de projets ensemble, dont le dernier en date est une adaptation des Frères Karamazov, de Dostoïevski. Et parlent déjà du prochain.
Au cinéma, on a pu le retrouver dans 35 Rhums (2008) de Claire Denis, Vous n’avez encore rien vu (2012) d’Alain Resnais, aux côtés d’Isabelle Carré dans L’Angle mort (2019) de Patrick-Mario Bernard et Pierre Trividic, ou en rescapé dans Sans filtre, de Ruben Östlund, Palme d’or du Festival de Cannes en 2022. « Je garde un souvenir merveilleux du tournage, admet-il. Nous étions tous réunis, perdus sur une île grecque pendant le Covid. J’ai rencontré des gens formidables. J’ai aussi beaucoup appris de Ruben (Östlund), dans sa manière d’aborder les scènes et de considérer ses personnages : ne jamais les juger et toujours les défendre. Cela m’a aidé par la suite quand j’ai créé mon spectacle, Sensuelle. »
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Son premier roman, sorti il y a juste un mois, Benoît Blues, dresse le portrait de deux copains, Benoît et Geoffrey. À la mort de ce dernier, Benoît hérite de son journal. À travers l’histoire à rebours de cette amitié d’enfance malmenée par le passage à l’âge adulte et les années qui passent, Jean-Christophe Folly nous interroge, avec une écriture percutante, sur les faux-semblants et la quête de son identité, sa place dans une société où l’on peut vite être catalogué, où il faut bien faire des choix. Lui, pourtant, n’a pas choisi et a cumulé les identités. Son deuxième prénom est « Amakoué », une référence à ses racines familiales togolaises.
En plus d’être comédien, il a écrit et mis en scène deux spectacles, Salade, tomate, oignons, en 2018, et Sensuelle, en 2023, a créé la compagnie Chajar & Chams, signe aussi des albums et fait des concerts comme musicien-compositeur-interprète sous le nom de « Tatum Gallinesqui ». « C’est plus simple pour moi de bien séparer les choses, confie-il. Tatum fait de la musique, Amakoué du théâtre. J’ai aussi d’autres alter ego en écriture qui me permettent de m’évader. Accepter d’être multiple me fait beaucoup de bien. C’est une façon de reconnaître que l’on ne peut pas tout canaliser : ça part dans tous les sens, comme dans la vie. »
Bérénice. 2 heures. En tournée jusqu’au 14 mai. Dolorosa. 1 h 50. Du 25 au 28 février au Quai CDN Angers (49), du 5 au 15 mars au théâtre du Rond-Point (Paris 8e). lequai-angers.eu et theatredurondpoint.fr
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