Il voulait « tuer des juifs ». C’est pour ça que ce réfugié syrien de 19 ans a choisi le mémorial de la Shoah à Berlin. Le symbole ne pouvait être plus parlant : frapper les juifs au cœur d’une ville qui fut la capitale du régime qui voulut les exterminer. Ce demandeur d’asile aurait mûri son projet plusieurs semaines. Son attaque au couteau vendredi a fait une victime, un touriste espagnol, hors de danger. Mais à deux jours des élections, c’était peut-être l’attentat de trop… « Combien de fois cela doit-il se produire ? » tweete Elon Musk en apprenant la nouvelle. Durant les semaines qui ont précédé l’élection, le milliardaire, bras droit de Donald Trump, s’est fait le sponsor de l’AfD, le parti nationaliste d’Alice Weidel.
Pour Elon Musk, il ne fait aucun doute : « Seule l’AfD peut sauver l’Allemagne. » Il le répète sur X, parfois plusieurs fois par jour. L’Allemagne, c’est le maillon faible d’une Union européenne que, morceau après morceau, l’équipe de Donald Trump s’emploie à renvoyer dans les poubelles de l’histoire. Elon Musk n’aura pas eu gain de cause, avec un score de près de 20 % pour l’AfD, 9 points derrière la CSU de Friedrich Merz. Du jamais-vu en Allemagne depuis les années 1930 : une formation nationaliste est désormais la deuxième force du pays.
L’échec de l’intégration
Pour l’AfD, la série d’attentats, huit en cinq mois, la plupart commis avec une voiture projetée dans la foule, a été une aubaine. Aschaffenbourg, Magdebourg, Munich ou Solingen, ces tueries perpétrées par des individus aux profils similaires interrogent directement la politique d’accueil du pays. En 2015, les Allemands étaient sortis avec des bouquets de fleurs pour les offrir au million de Syriens invités par Angela Merkel. Ses mots, « Wir schaffen das », nous y arriverons (à intégrer les Syriens), sonnent aujourd’hui comme un échec total. Sans compter que, excepté l’extrême gauche, les Allemands ne perçoivent pas du tout le parti d’Alice Weidel comme certains journalistes français qui se font un plaisir d’y déceler les relents des « heures les plus sombres ». Ces sous-entendus frisent parfois le grotesque.
Ainsi, le journaliste de L’Opinion, Jean-Dominique Merchet, a cru voir dans les seize drapeaux disposés huit par huit lors d’un meeting, de chaque côté d’Alice Weidel, un code signifiant « Heil Hitler », le h étant la huitième lettre de l’alphabet. Ce reductio ad hitlerum était d’usage avec Donald Trump, certains confrères affirmant par exemple que s’il avait choisi le Madison Square Garden à New York pour y tenir un meeting, c’était parce que des supporters américains d’Adolf Hitler s’y étaient réunis en… 1932. Comme dans de nombreuses familles allemandes, il y a bien eu des nazis chez les Weidel. Le grand-père paternel d’Alice, Hans Weidel, fut nommé juge par Hitler en personne. Mais, sans qu’il soit contesté par la candidate de l’AfD, l’héritage familial s’arrête là.
À ses débuts, elle est sur une ligne nationale-libérale et ne cache pas son admiration pour Thatcher
Éduquée en Allemagne de l’Ouest, docteure en économie, banquière pour Goldman Sachs, Alice Weidel vit avec une femme d’origine srilankaise avec qui elle élève deux garçons sur les berges du lac de Constance. Pour Martin Baloge, l’homosexualité d’Alice Weidel est même « une ressource autant qu’une arme politique ». Selon cet enseignant-chercheur, spécialiste de la vie politique allemande, Alice Weidel met en avant son orientation sexuelle comme un bouclier chaque fois qu’on soupçonne son parti d’homophobie ou de conservatisme. La « princesse de glace », comme on la surnomme, n’avait pas le profil idéal pour diriger un parti dont l’implantation s’est faite d’abord dans les Länder industriels pauvres de l’ex-Allemagne de l’Est, et dont l’électorat reste majoritairement masculin.
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D’ailleurs, si l’Allemagne de l’Est existait encore, Alice Weidel en serait aujourd’hui la chancelière, et haut la main. La carte électorale allemande reflète encore largement la division historique, avec la CSU majoritaire à l’Ouest, et l’AfD à l’Est. Lorsqu’Alice Weidel rejoint ce parti en 2013, ce n’est pas pour la lutte contre l’immigration de masse, qui fait son fond de commerce aujourd’hui, mais pour s’opposer au financement par l’Allemagne de prêts destinés à sauver de la faillite les pays du sud de l’Europe, comme la Grèce. Elle est alors sur une ligne nationale-libérale et ne cache pas son admiration pour Margaret Thatcher. Alice Weidel apporte ensuite une image de compétence à une formation mal dirigée, au programme plus incantatoire que rationnel. Le million de Syriens est passé par là. Et les attentats se sont multipliés jusqu’à remettre en cause l’intégration rêvée par Merkel.
Oser la carte de la radicalité
Avec son expérience et sa longévité, seize années au pouvoir, la chancelière avait su faire avaler la pilule migratoire aux Allemands. Son successeur Olaf Scholz en fut bien incapable. Il n’avait ni sa carrure, ni ses ambitions. Il a été balayé, son parti, le SPD, perdant plus de 10 %. La guerre en Ukraine, jugée responsable du recul économique allemand, a également renforcé l’influence de l’AfD. La formation a joué à fond sur la « German Angst », une peur collective de perte identitaire mais aussi d’un abandon du statut socio-économique. Surtout, à l’image de Donald Trump, Alice Weidel a choisi la carte payante de la radicalité, et non celle de la respectabilité comme Marine Le Pen et Jordan Bardella.
Le probable nouveau chancelier, Friedrich Merz, s’est hissé au sommet en usant d’une rhétorique proche de celle de l’AfD. Adversaire de toujours d’Angela Merkel au sein de la CSU, il s’est éloigné du centrisme tranquille de l’ex-chancelière et exige désormais que les communautés présentes sur le sol allemand adhèrent à la « Leitkultur », la culture dominante. L’AfD est bien aux portes du pouvoir, même s’il lui reste encore une dernière grosse marche à franchir. Elle ne rentrera probablement pas dans la coalition gouvernementale, mais continuera d’incarner une opposition dont il sera désormais bien difficile d’endiguer l’ascension.
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