Un vent glacial souffle depuis l’Anti-Liban, s’engouffrant dans les vallées rocailleuses où les derniers flocons de neige s’accrochent aux sommets. Ici, à l’extrême nord-est du Liban, la frontière avec la Syrie n’est qu’une ligne abstraite, un territoire où les routes poussiéreuses servent autant aux bergers qu’aux passeurs. Sur la piste qui mène à Al-Qasr, les villages frontaliers de Wadi Faara et Maaraboun semblent figés dans un silence inquiet.
Depuis plusieurs semaines, l’atmosphère est plus lourde qu’à l’accoutumée. Le fracas des armes automatiques a brisé à plusieurs reprises la quiétude de ces terres isolées. Les récentes opérations des forces syriennes contre les trafiquants de drogue et les contrebandiers d’armes ont déclenché une vague de tensions dans la région. Des clans influents, historiquement liés au Hezbollah, voient leurs routes commerciales menacées, et les accrochages sporadiques le long de la frontière font craindre une escalade.
Dans le centre-ville de la petite bourgade d’Al-Qasr, les stigmates des récents affrontements sont encore visibles. Dans un petit café du village, un poêle à bois tente de réchauffer l’air glacé. Des hommes, emmitouflés dans de lourdes vestes kakis, parlent des récents évènements. L’un d’eux, un vieux fermier au visage buriné par le vent et le soleil, lance : « Le Hezbollah contrôlait cette zone et agissait en maître dans la région pour faire ses affaires. » La porosité de la frontière libano-syrienne servait les intérêts du puissant parti chiite. Or, cette omnipotence est une histoire ancienne. Depuis la chute du régime de Bachar el-Assad le 8 décembre dernier, l’organisation pro-iranienne ne bénéficie plus de cette profondeur stratégique et logistique lui permettant d’étendre son influence et de recevoir des armes par voie terrestre depuis Téhéran.
En effet, depuis le début du mois de février, les nouvelles autorités syriennes, profondément opposées au Hezbollah, mènent des opérations dans les zones limitrophes pour lutter contre les résidus du mouvement chiite et mettre un terme à leurs activités. Des affrontements armés ont fait plusieurs morts des deux côtés. Damas tente d’évincer les clans libanais, les Zeaïter, les Jaafar, les Noun, les Jamal et les Rachini, tous proches du parti de Dieu. Il a fallu une intervention du président de la République libanaise, Joseph Aoun, qui est entré le 15 février en contact avec son homologue syrien, Ahmad el-Chareh, et l’acheminement par l’armée libanaise d’importants renforts le long de la zone frontalière pour calmer le jeu.
De surcroît, la Sûreté générale syrienne a arrêté le 19 février plusieurs groupes « impliqués dans le trafic et la vente d’armes au Hezbollah », dans la région de Qoutayfa, en banlieue de Damas.
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Dans le village enneigé d’Al-Qasr, un vieux drapeau du Hezbollah vert et jaune flotte au loin. Non loin d’un checkpoint de l’armée libanaise, nous rencontrons un militaire qui accepte de se confier sous couvert d’anonymat. « Dans cette région frontalière, c’était leur chasse gardée, ils avaient leurs caches d’armes, leurs entrepôts, leurs usines, personne ne pouvait approcher à moins de 500 mètres », explique-t-il pour évoquer l’influence du parti chiite. Il explique que le mouvement « a mis en place un réseau sophistiqué s’étendant à la Syrie et à l’Irak pour vendre de la drogue ».
Dans les larges plaines de la Bekaa, il n’est pas rare de voir des champs entiers de cannabis contrôlés par des membres du groupe paramilitaire libanais. Mais quand le militaire évoque les substances illicites, il fait surtout référence au captagon. Cette amphétamine surnommée la « drogue des djihadistes », est au cœur d’un vaste trafic reliant la Syrie et le Liban. Elle a permis au régime d’Assad et à son allié du Hezbollah de générer des milliards de dollars en revendant le produit aux quatre coins du Moyen-Orient, tout en contournant les sanctions occidentales. Les effets sur le corps humain allaient de la perte d’appétit, à la perte de fatigue en passant par l’absence de peur, l’hypervigilance et une agressivité accrue. Le soldat explique que l’objectif de l’armée libanaise est de mettre la main sur ces différents réseaux.
Couper les routes traditionnelles d’acheminement, c’est isoler encore un peu plus le Hezbollah sur la scène régionale. C’est le secrétaire général du Hezbollah Naïm Qassem qui l’avait même admis à demi-mot lors d’une allocution en décembre dernier. « Le Hezbollah perd […] une ligne de ravitaillement militaire via la Syrie, mais cette perte reste un détail dans le cadre de l’action de résistance » à Israël, avait-il déclaré, ajoutant que « la résistance doit s’adapter aux circonstances ».
D’ailleurs, le militaire libanais nous avoue que le parti de Dieu essaye de se réorganiser « en tentant de prendre contact avec de nouveaux groupes en Syrie pour continuer son business ». Or, l’État hébreu cible régulièrement les points de passage frontaliers pour éviter la reprise du trafic. L’aviation israélienne a frappé dans la nuit du 20 au 21 février la frontière syro-libanaise, au niveau du Liban-Nord et de la province syrienne de Homs, revendiquant y avoir visé des passages frontaliers illégaux « employés par le Hezbollah » pour faire entrer des armes.
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