Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, l’OTAN, qui semblait en état de « mort cérébrale » selon Emmanuel Macron, a ressuscitée, et est redevenue un puissant bouclier contre l’influence russe sur le vieux continent. Mais le retrait américain annoncé redistribue les cartes, plongeant l’Europe dans l’inconnu.
Certains pays se sont organisés. Après trois ans de guerre entre Moscou et Kiev, les pays de l’est et du nord européens, toujours inquiets pour leur souveraineté et leur intégrité face à Poutine, ont non seulement augmenté leur niveau d’alerte à l’égard du voisin russe mais également leur rapprochement avec les Occidentaux. Respectivement en 2023 puis 2024, la Finlande et la Suède ont rejoint l’OTAN.
Le cas d’école le plus intéressant est sûrement la Pologne, membre de l’OTAN depuis 1999. Le pays, dirigé par l’ancien président du Conseil européen, l’actuel premier Ministre Donald Tusk, est déjà un solide allié américain de par la présence de bases sur son sol. À ce jour, près de 10 000 soldats américains sont stationnés en Pologne, principalement dans le cadre d’une présence en rotation. En novembre 2024, Varsovie inaugurait une nouvelle base antimissiles américaine, située à Redzikowo, dans le nord du pays.
« Le pays a notamment offert une large partie de son ancien matériel militaire à l’Ukraine »
Le pays, ne préférant pas attendre davantage un soutien européen en cas d’agression, a largement investi dans sa défense pour son propre compte. Alors que Donald Trump demande aux États membres de l’Alliance d’investir au minimum 5 % de leur PIB dans la défense, ce qui est loin d’être encore le cas de beaucoup d’entre eux, Varsovie a mis les bouchées doubles depuis dix ans pour doper sa sécurité, en renfort auprès de l’Ukraine, mais aussi en prévision des tensions futures sur le sol européen après le retrait des Américains.
Il est compréhensible que la position tampon de la Pologne entre l’Europe occidentale et à la frontière orientale de l’OTAN face à la Russie, et les séquelles de l’histoire, l’ont poussé à prendre son destin en main. Face à la menace de Moscou, la Pologne a pris des mesures pour renforcer son armée de façon spectaculaire, positionnant son dispositif militaire comme un pilier de la défense en Europe de l’Est. Son investissement dans la modernisation militaire a été accéléré, avec une impulsion significative de ses achats d’armement et le renforcement de ses capacités de défense, en particulier depuis 2022.
Le pays a notamment offert une large partie de son ancien matériel militaire à l’Ukraine. Depuis son intégration dans l’OTAN en 1999, la Pologne est devenue une puissance militaire clé au sein de l’alliance, grâce à son armée actuelle et une contribution significative au budget de l’OTAN. Elle poursuit des objectifs ambitieux, visant à augmenter le nombre de ses militaires à 300 000 d’ici 2035 et à augmenter ses dépenses militaires à 5 % de son PIB (le nombre d’or trumpiste) d’ici 2025. Par ailleurs, la Pologne n’a pas caché vouloir accueillir des armes nucléaires pour renforcer sa sécurité face à la Russie, tout en investissant dans des lignes de défense renforcées. L’un de ses plus grands partenaires dans cette modernisation est la Corée du Sud même si les États-Unis restent son partenaire numéro un.
Depuis un mois, l’Europe se retrouve paralysée face aux menaces de Donald Trump et continue à fantasmer une Europe de la Défense puissante qui n’a jamais vu le jour. La France et l’Allemagne ne sont plus en force pour l’initier, et la volonté du président français Macron d’aller chercher la Grande-Bretagne de Keir Starmer paraît avec le Brexit totalement incongrue. Pendant que l’on tergiverse à Bruxelles sur une stratégie commune, le leadership de la Pologne dans le domaine militaire européen se confirme, avec non seulement une image de force dissuasive mais également une capacité à influencer les équilibres de sécurité en Europe. Le parapluie américain derrière n’y serait pas pour rien, et il n’est pas à exclure que Varsovie, le parfait bon élève de Washington en matière de sécurité et d’indépendance, soit finalement le grand gagnant de ce retrait américain sur le vieux continent.
Sébastien Boussois est docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe et géopolitique, enseignant en relations internationales à l’IHECS (Bruxelles), associé au CNAM Paris (Equipe Sécurité Défense), à l’Institut d’Études de Géopolitique Appliquée (IEGA Paris), au NORDIC CENTER FOR CONFLICT TRANSFORMATION (NCCT Stockholm) et à l’Observatoire Géostratégique de Genève (Suisse).
Source : Lire Plus