Le salon de l’Agriculture s’ouvre ce week-end, renouant avec une tradition séculaire qui puise ses origines en 1870 dans le Concours Général Agricole – lui-même héritier du « concours des animaux gras » organisé dès 1844. Ce rendez-vous annuel n’est pas seulement une vitrine de l’excellence agricole française ; il incarne également le témoignage d’une France en perpétuelle mutation, tirant ses racines de ses campagnes ancestrales.
Autrefois, la majorité des Français labourait la terre, et la vie se déroulait au rythme des saisons. Pour situer ce constat dans son contexte historique, il faut rappeler qu’au milieu du XIXᵉ siècle, la France demeurait essentiellement rurale. Selon les recensements de l’époque, environ 74 % de la population vivait en milieu rural – soit près de 27 millions d’habitants sur une population totale avoisinant les 36 millions. Dans ces espaces, la quasi-totalité des adultes, souvent estimée à plus de 80 à 90 %, était directement engagée dans les travaux agricoles. Ce chiffre témoigne d’un modèle socio-économique où le labeur dans les champs n’était pas seulement un mode de vie, mais le socle même de l’existence et de l’identité nationale.
Ce rapport intime entre l’homme et la terre, évoquant les réflexions de Rousseau sur la vertu naturelle et la simplicité d’un quotidien rythmé par les cycles de la nature, s’est peu à peu effacé avec l’avènement de l’industrialisation et l’exode rural. Autrefois, l’agriculture dictait la vie entière d’un peuple ; aujourd’hui, force est de constater que ces chiffres se sont drastiquement réduits, au point où moins de 3 % des actifs se consacrent encore à l’agriculture.
Les campagnes se sont vidées : moins d’agriculteurs, c’est moins d’âmes pour animer les villages, moins de services publics pour soutenir ces espaces oubliés, et une économie locale en déclin. Ce glissement démographique – d’un temps où la ruralité représentait le poumon de la nation à une ère dominée par l’urbanisation – trouve un écho dans l’histoire même de notre pays.
La désindustrialisation et l’essor de la société de services ont concentré les dynamiques économiques dans les métropoles, exacerbant ainsi la saturation des grandes agglomérations et la naissance de ce que l’on nomme aujourd’hui la « France périphérique ». Ce terme, chargé de symbolisme et de controverses, résume une réalité complexe : la disparition progressive d’un monde rural qui, par son inexorable déclin, a laissé place à des villes tentaculaires et à des inégalités territoriales criantes.
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Dans ce contexte, les agriculteurs, véritables gardiens de notre patrimoine, se retrouvent en première ligne face aux défis de la mondialisation, de la concurrence internationale et d’une réglementation qu’ils jugent, à raison, étouffante – notamment celle émanant d’un cadre normatif européen. Leur inquiétude est légitime, car protéger les agriculteurs, c’est avant tout préserver le berceau de notre identité nationale. La nature en France n’est pas un Eden immuable et sauvage, mais le fruit d’un long travail d’entretien, une mosaïque de parcelles, de bois et de champs soigneusement domptés par l’homme depuis des siècles.
Comme le suggérait Montaigne, c’est dans la contemplation de la nature et dans l’effort quotidien de la cultiver que se révèle la grandeur d’un peuple
Il s’agit donc d’un appel à une politique agricole audacieuse, qui ne se contente pas de mesures palliatives mais qui réaffirme la souveraineté nationale sur des questions vitales. Ce n’est pas en exportant les problèmes urbains dans les campagnes – comme le préconisent certains discours, à l’instar de Jean-Luc Mélenchon – que nous rétablirons l’équilibre. Au contraire, il nous faut sanctuariser et dynamiser ces territoires, en recréant des emplois productifs, en aménageant des infrastructures modernes et en offrant des services publics de qualité, adaptés aux besoins d’une population en recomposition.
En parallèle, la colère des agriculteurs lors du dernier salon de l’agriculture résonne encore aujourd’hui. Face à la signature de l’accord de libre-échange Mercosur, perçu comme une ouverture aux forces du marché international sans filet de sécurité, les agriculteurs se sentent trahis par des politiques qui, au lieu de répondre aux enjeux du secteur, ne font qu’amplifier leur précarité. Dans un climat de défiance et de frustration, leurs revendications dénoncent l’insuffisance des mesures destinées à contrer la concurrence déloyale, l’érosion des revenus et la dérégulation normative. Ce malaise persistant souligne que, malgré quelques initiatives annoncées jadis par Gabriel Attal, les réponses aux problématiques du monde agricole n’ont pas encore été apportées.
En définitive, le Salon de l’Agriculture de 2025 nous convie à méditer sur une vérité immuable : la France a été, et doit demeurer, une nation enracinée dans ses campagnes. Comme le suggérait Montaigne, c’est dans la contemplation de la nature et dans l’effort quotidien de la cultiver que se révèle la grandeur d’un peuple. Le destin de nos campagnes et de nos agriculteurs est indissociable de celui de la nation tout entière – une réalité qu’il nous appartient de défendre avec force et conviction.
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