Dans la très commerçante rue Florida, au cœur du quartier des affaires, tout le monde ne parle que de la $Libra, cette cryptomonnaie, lancée vendredi 14 février, brièvement promue par le président argentin Javier Milei sur X, avant son effondrement rapide, dans la nuit du samedi 15 février. « Les token, les bitcoins, personne n’y comprend rien, les Argentins s’en moquent. Pour l’instant, il est notre président, le peso reste stable, tout cela est très politique, cette affaire donne du grain à moudre à une gauche aphone depuis sa défaite fin 2023 », résume un changeur de monnaie à la sauvette.
En effet, l’opposition s’est emparée avec une certaine délectation de ce « crypto-scandale », accusant Javier Milei d’avoir délibérément boosté le cours de $Libra, avant qu’il ne supprime son tweet, et que le token ne s’effondre. 86 % des investisseurs de $Libra auraient subi des pertes totalisant 251 millions de dollars, selon Nansen, la plateforme d’analyse leader en cryptomonnaie. Quelque 40 000 personnes auraient été affectées en Argentine, selon l’ONG l’Observatoire du droit de la ville.
« Je n’ai pas recommandé, je n’ai pas promu, j’ai diffusé », s’est défendu Javier Milei, lors d’un long entretien accordé à la chaîne de télévision publique Todo Noticias, pour déminer le terrain. Une chose est sûre : l’affaire embarrasse au plus niveau le président argentin, qui a reconnu avoir pris « une gifle » et promit à l’avenir d’« élever les murs » pour que l’accès à lui-même ne soit plus aussi facile.
Plusieurs de ses proches consultants, comme Agustin Laje, directeur de la fondation Faro, seraient quant à eux accusés de l’avoir mis en relation avec Julian Peh, le propriétaire de KIP Protocol, l’entreprise qui a lancé le memecoin $Libra. « Je suis pris au milieu d’une tempête politique, j’ai la tête plongée dedans », confie ce dernier au JDD, un brin décontenancé par la tournure des événements.
Plusieurs poids lourds de l’opposition, comme le patron de l’Union civique radicale, Martin Lousteau, ancien ministre de l’Économie de Cristina Kirchner, exigent une Commission d’enquête, voire un procès. Un juge et un procureur ont été chargés de centraliser une centaine de plaintes. « Milei a joué à la roulette russe », ironisait le nouveau leader de l’opposition, Axel Kicillof.
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Tout avait peut-être trop bien commencé pour le président argentin. Un peu plus d’un an après avoir été élu, ses réformes libérales « à la tronçonneuse », marquées par des privatisations et une réduction drastique des déficits publics, commençaient à faire leur effet. L’inflation était enfin maîtrisée, la croissance revenait, la pauvreté baissait en ce début d’année. Javier Milei faisait la une de tous les journaux du monde et explosait les compteurs dans les sondages locaux. L’opposition était amorphe, inaudible, K-O depuis sa défaite à l’élection présidentielle de fin 2023, avant ce tweet de trop.
« C’est l’affaire la plus négative pour Milei dans depuis son arrivée au pouvoir », commentait cette semaine le grand quotidien conservateur La Nacion, pourtant plutôt acquis à la cause du président libertarien. « Au-delà des soupçons sur le fait qu’il ait voulu ou non profiter de tout un système de cryptomonnaie, cette affaire met en lumière une certaine inconsistance au plus haut niveau de l’État, une irresponsabilité surtout dans la manière qu’a Milei de tweeter frénétiquement. Et cela ternit considérablement son image de super-génie de l’économie et des finances, de génie tout court des réseaux sociaux », déplore au JDD Luciano Roman, journaliste-éditorialiste à La Nacion.
Malgré l’affaire $Libra, Javier Milei reste populaire, alors que, selon un dernier sondage publié jeudi 20 février par Clarin, le grand quotidien péroniste de centre gauche, 50,4 % des argentins continuent de le soutenir et 51,6 % d’entre eux estiment que cela ne mérite pas un procès politique. Hasard heureux de l’agenda présidentiel, histoire de prendre un peu de distance, Javier Milei s’est envolé mercredi pour une visite prévue de longue date aux États-Unis, où il a rencontré le président Donald Trump et Elon Musk, certes patron de SpaceX et Tesla, mais surtout, au passage, spécialiste en cryptomonnaies…
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