
Les plus anciens d’entre nous, qui ont eu le privilège de vivre leur enfance à la campagne auront peut-être en mémoire l’image de ces canards sans tête, destinés au repas dominical, et volant en tous sens dans la cour de ferme avant que de retomber inertes. À Paris le 17 février, c’est à ces canards que faisait penser la réunion des « principaux pays » européens – les non-invités apprécieront – organisée à la va-vite par le président français et donnant l’impression d’une redoutable improvisation !
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Il est, en effet, stupéfiant d’observer le manque d’anticipation des dirigeants européens. Manque d’anticipation face au probable retour aux affaires de Donald Trump et manque d’anticipation encore face au déroulé d’une politique étrangère dont aucun des paradigmes ne saurait être une découverte. Ce que Trump candidat annonçait qu’il ferait, Trump président le fait. La fameuse « politique étrangère et de sécurité commune » de l’Union européenne n’a pas su anticiper la conduite à tenir. Et, le spectacle navrant offert par la conférence de Paris a apporté la démonstration qu’elle n’a ni vision prospective ni colonne vertébrale.
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« L’Europe, quel numéro ? »
OVNI de la politique internationale, l’Europe de Bruxelles, construction mythifiée et sablonneuse, a pris le choc de réalité en pleine figure. Comme Kissinger en son temps, le vice-président américain Vance a en quelque sorte, lui aussi, posé la question à Munich le 14 février dernier : « L’Europe, quel numéro ? ». Elle n’attend pas de réponse.
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De son côté, le dialogue russo-américain, mis en scène par la rencontre Lavroff-Rubio en Arabie saoudite, a repris au plus haut niveau et ne va pas cesser. Il ira même crescendo jusqu’à un partenariat stratégique entre les deux puissances, tant la volonté de Donald Trump est forte de trouver une issue rapide à la guerre en Ukraine et de casser le mariage d’intérêt entre Moscou et Pékin.
Ayons le courage de reconnaître que l’illusion européiste s’est fracassée
Pour le nouveau président américain, le théâtre européen a pour principale valeur stratégique d’être la clé de cette prise de distance sino-russe et, demain, d’un renversement d’alliance en bonne et due forme, permettant d’affaiblir durablement l’adversaire systémique des États-Unis qu’est la Chine.
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Alors, comment retrouver une marge de manœuvre pour sortir de ce piège qui marginalise inexorablement l’Union européenne et la fait sortir de l’Histoire à vitesse accélérée… ?
Comme dans toute crise, la voie la plus sûre pour trouver une issue consiste à regarder les choses en face. Ayons le courage de reconnaître que l’illusion européiste s’est fracassée : elle n’a permis, ni de prévenir la crise ukrainienne, ni de la régler. Elle ne permettra pas plus de dégager une supposée voie alternative qui permettrait à Volodymyr Zelensky de bloquer le cesser le feu qui lui sera imposé par l’accord de Moscou et de Washington.
Tenter la politique du pire, en maintenant des livraisons d’armes à l’Ukraine capables d’atteindre le territoire russe, nous exposerait à des représailles militaires de Moscou, sans garantie aucune de voir les États-Unis faire jouer l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord. Les pays européens, individuellement comme collectivement, n’ont ni la force militaire, ni la capacité industrielle et financière, de mener un combat en solitaire contre ce qui est en train de se dessiner entre Donald Trump et Vladimir Poutine.
Doivent-ils pour autant lever le stylo comme l’étudiant à la fin de l’examen et attendre, de façon soumise, que leur soit dictée la conduite à tenir… ? Aucunement, et la France ne saurait l’accepter ! Des interstices à occuper se profilent dans le processus de sortie de crise ukrainienne et, au-delà de celle-ci, des lignes de force sur lesquelles capitaliser pour continuer d’exister dans un monde en recomposition.
L’envoi de troupes au sol ne ferait qu’augmenter les probabilités de dérapages conflictuels
S’agissant de l’Ukraine d’abord, nul ne saurait envisager une autre position que d’accompagner la recherche de la paix. Il s’agit là d’une exigence morale. De surcroît, l’envoi de troupes au sol, fussent-elles non belligérantes, préconisé par Emmanuel Macron et Keir Starmer, ne ferait qu’augmenter, à terme, les probabilités de dérapages conflictuels sans rien régler pour autant. Puisque chacun sait qu’une mauvaise paix prépare les conditions d’une future guerre, la participation de l’Europe à la mise en œuvre de l’accord russo-américain sur l’Ukraine peut apporter un soupçon « d’esprit européen », à condition de n’être pas confondue avec l’adhésion de l’Ukraine à une Union européenne érigée au rang de tiroir-caisse d’une reconstruction effectuée au profit des entreprises américaines.
Pour peser de façon plus large dans la société internationale, les pays d’Europe ont devant eux un immense chantier de reconstruction stratégique, diplomatique et économique. La reprise en mains des instruments de la puissance – l’industrie, l’intelligence artificielle, la sécurité alimentaire, l’autonomie énergétique, la défense, l’assainissement des finances publiques et le retour de la sécurité intérieure mise à mal par la criminalité organisée et la submersion migratoire – se prête à des politiques à fort contenu intergouvernemental.
La France doit retrouver sa place sur la scène internationale
Incarnation de l’histoire singulière du continent, les États européens, ont des espaces de manœuvre à réoccuper et une perspective à valoriser, celle d’un monde authentiquement multipolaire et dialoguant entre nations. C’est, au premier chef, la vocation de la France, qui doit retrouver la place qui n’aurait jamais dû cesser d’être la sienne sur la scène internationale. Seule puissance nucléaire stratégique indépendante du continent et seule à disposer, du fait de ses outremers, de l’allonge indo-pacifique qui la met au contact direct du « grand jeu » sino-américain, elle est aussi la plus qualifiée pour œuvrer, depuis le Conseil de sécurité des Nations unies, à la modernisation du multilatéralisme onusien en jetant un pont entre nos nations et les attentes du « Sud global ».
Malgré la faillite de la politique africaine d’Emmanuel Macron, la France peut aussi retisser progressivement ses liens avec le continent à condition d’en comprendre à nouveau les dynamiques et les attentes. Elle peut renouer les fils d’une grande politique moyen-orientale, permettant notamment aux pays arabes de sortir du dialogue exclusif mais contraignant avec Washington et Moscou. Enfin, par la mise en valeur des atouts des outremers, elle est en mesure de développer une politique d’équilibre avec l’ensemble des parties prenantes de la compétition indo-pacifique.
Retravailler à partir des forces de chacun des États est le seul horizon réaliste pour renouer avec une Europe de puissances et sortir par le haut de l’illusion d’une diplomatie fédérale et impériale. C’est le rôle naturel de la France que d’y contribuer activement, en négociant dès maintenant le virage imposé par le nouveau duumvirat russo-américain sur l’Europe.
*Les Horaces sont un cercle de hauts fonctionnaires, hommes politiques, universitaires, entrepreneurs et intellectuels apportant leur expertise à Marine Le Pen, fondé et présidé par André Rougé, député français au Parlement européen.
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