Des obstacles, toujours des obstacles. Bruno Retailleau peine à concrétiser sa politique volontariste de jugulation des flux migratoires face à une citadelle administrative et judiciaire qui verrouille habilement le sujet. Dernier exemple en date, l’annulation de l’OQTF de l’influenceur algérien Doualemn par le tribunal administratif de Melun. Un camouflet dont se serait bien passé le ministre de l’Intérieur, après le refus des autorités algériennes, en janvier, de reprendre sur leur territoire celui qui avait été expulsé de France pour des propos d’incitation au meurtre.
Mais Bruno Retailleau ne semble pas avoir dit son dernier mot et se lance dans une nouvelle bataille : réformer le droit du sol. Il pourra pour cela compter sur Gérald Darmanin, le garde des Sceaux. Un allié de circonstance qui, lui aussi, remet en cause l’automaticité de l’obtention de la nationalité française.
Mais le débat n’est pas nouveau. En 2016, Nicolas Sarkozy, alors candidat à la primaire des Républicains, avait annoncé vouloir mettre en place une « présomption de nationalité » permettant de suspendre l’octroi de la nationalité française à un mineur au casier judiciaire chargé. Lors de l’élection présidentielle de 2022, Éric Zemmour avait, lui, fait campagne sur la suppression totale du droit du sol, lui préférant un système d’acquisition par filiation, une sorte de « droit du sang ».
Face à ces velléités réformatrices, les défenseurs du droit du sol évoquent un principe républicain incommutable. Pourtant, la notion n’a pas attendu la Révolution française pour exister. En 1515, le Parlement de Paris ratifiait officiellement le jus soli, un texte juridique qui reconnaissait à toutes les personnes naissant sur le sol du royaume de France un statut de sujétion au souverain. Trois siècles plus tard, Napoléon Bonaparte, cherchant à grossir les rangs de son armée, tenta d’étendre la notion à tous les enfants d’étrangers vivant en France, sans succès. Ce n’est qu’en 1889 que la Troisième République instaura le double droit du sol, permettant à un enfant né en France de parents eux-mêmes nés en France l’obtention automatique de la nationalité française.
Une automaticité devenue incompréhensible
Depuis, la législation n’a pratiquement fait que s’assouplir. Aujourd’hui, un enfant né en France et ayant résidé au moins cinq ans sur le territoire national entre ses 11 et 18 ans obtient automatiquement la nationalité à sa majorité. Autre alternative, si un enfant naît en France d’au moins un parent né en France, la nationalité lui est également accordée. « Le registre actuel est celui de la pleine automaticité, malgré des circonstances sociétales et migratoires sans commune mesure avec la situation de la France du XIXe siècle », commente Nicolas Pouvreau-Monti, directeur de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie en France (OIDF). « Près de 400 000 personnes ont acquis la nationalité française par le droit du sol depuis l’an 2000. Cela pose des questions. Dans un monde hyperconnecté, où des membres de la diaspora peuvent garder des liens très forts avec leurs pays d’origine et ne pas s’identifier à la culture du pays dans lequel ils vivent, l’automaticité du droit du sol peut légitimement être remise en question. »
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Le droit du sol, un vieux principe qui remonte à l’ancien régime
Un texte de loi dépassé
Un texte de loi dépassé, qui pourrait ne pas survivre au gouvernement Bayrou, le Premier ministre s’étant dit favorable à élargir le débat sur la question. Dans l’entourage de Bruno Retailleau, plusieurs pistes sont d’ores et déjà évoquées, comme le conditionnement de l’octroi de la nationalité à « une démarche volontaire du jeune pour devenir Français, en déposant un dossier ». Des dossiers qui permettraient ensuite aux services de Beauvau le criblage des candidats. Criminalité, délits à répétition ou troubles à l’ordre public, une étude minutieuse des demandeurs de la nationalité pourrait voir le jour, afin d’« éviter que des pays nous renvoient des individus que nous avons expulsés au motif qu’ils ont aussi la nationalité française », confie une source au ministère de l’Intérieur. Vers la fin de l’automaticité du droit du sol sur l’ensemble du territoire, après une première loi adoptée au Parlement, début février, restreignant partiellement le droit du sol à Mayotte ?
D’autant que les garde-fous juridiques autour de la question ne semblent pas être de trop gros obstacles. « Le champ politique a largement gardé la main sur le droit de la nationalité, précise Nicolas Pouvrau-Monti. Le droit européen n’est pas contraignant en la matière, et aucune jurisprudence du Conseil constitutionnel ne pourrait, en l’état, venir annuler une réforme du droit du sol. » Autriche, Suisse, Danemark ou Norvège, nombreux sont les pays européens à ne pas reconnaître le droit du sol. D’autres, comme l’Allemagne, proposent un cadre beaucoup plus ferme qu’en France. La balle est donc désormais dans le camp du gouvernement.
1993, l’année de la brèche
Le 24 août 1993, Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur au sein du gouvernement Balladur, interrompait un siècle de tradition républicaine sur le droit du sol. La loi « Pasqua-Debré » mettait fin au caractère automatique de l’obtention de la nationalité française pour un enfant né en France de parents étrangers. Il fallait désormais… en faire la demande, entre ses 16 et 21 ans. À l’époque, la décision choque la gauche, et notamment les soutiens de François Mitterrand, contraint à la cohabitation avec un gouvernement hétéroclite. On accuse Pasqua d’avoir fait « le jeu du Front National », qui venait juste de réaliser un score historique aux élections présidentielles de 1988. Nommé par Balladur pour répondre aux attentes des Français sur les sujets migratoires, Charles Pasqua assume une ligne ferme. Dans les colonnes du Monde, il affirme que « la France ne veut plus être un pays d’immigration » ; et assure aux journalistes vouloir tendre vers « une immigration zéro ». Mais l’instabilité politique de l’époque aura raison de sa réforme. En 1997, deux ans après son accession à l’Élysée, Jacques Chirac dissout l’Assemblée nationale et la gauche remporte les élections législatives. En quelques mois, la loi « Pasqua-Debré » est abrogée par le nouveau gouvernement et l’automaticité du droit du sol, après une parenthèse de cinq ans, fait son grand retour dans le pays.
La jurisprudence Mayotte
Noyé sous l’immigration comorienne, les Mahorais ont obtenu gain de cause, au début du mois, après que l’Assemblée nationale a voté une restriction partielle du droit du sol. Désormais, un enfant étranger peut devenir français, seulement si ses deux parents résident sur le territoire depuis trois ans ; avec une exception pour les familles monoparentales. Une décision saluée par Estelle Youssouffa, députée de la 1re circonscription de Mayotte, qui milite depuis des mois contre « l’inertie totale de la lutte contre l’immigration clandestine » au sein du département insulaire. Avec près de 50 % de la population mahoraise de nationalité étrangère, Mayotte est le théâtre de tensions sociales extrêmement fortes, ravivées par les ravages du cyclone Chido, qui a dévasté l’île en décembre. La restriction du droit du sol à Mayotte montre qu’il « ne s’agit ni d’un principe intangible, ni d’un obstacle idéologique majeur », souffle une source gouvernementale. Le vote de l’Assemblée pourrait donc servir de jurisprudence pour un élargissement à l’ensemble du territoire français. « Les petits ruisseaux font les grandes rivières », résume un proche de Bruno Retailleau. Et Mayotte pourrait bien servir de point de départ à la suppression, à terme, de l’automaticité du droit du sol en France.
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