
Faisons un peu de « presque fiction » : « Parce que l’Amérique doit rester la première puissance maritime du monde et ne peut tolérer une zone de non-droit à ses portes, et au regard du fait que cette île, de fait abandonnée, sert de plaque tournante aux narcotrafiquants, à compter de ce jour l’île de Clipperton, que nous rebaptisons “île X” et sa zone économique exclusive passent sous souveraineté des États-Unis. Make America Great Again ! ».
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Voilà le message qui pourrait défrayer la chronique, s’il venait à être diffusé sur Truth Social – le réseau social de Trump. Comme ses revendications sur le Canada, le Groenland ou le Panama risquent d’être compliquées à satisfaire, le bouillant président étasunien ne pourrait-il pas être tenté par une « proie » plus facile et à portée ? Pour prendre le contrôle de l’île de La Passion-Clipperton, il pourrait faire valoir qu’au-delà d’une exploitation américaine au XIXe siècle au titre de la loi extraterritoriale du Guano Act, les États-Unis ont déjà occupé Clipperton pendant le deuxième conflit mondial pour en faire la fameuse « île X » de la guerre du Pacifique.
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C’est l’énergie et l’intransigeance en matière de souveraineté du général de Gaulle en 1945 qui nous avait permis de récupérer la jouissance de l’île. Assurément, le droit est du côté de la France. La souveraineté juridique de notre pays sur l’île et sa zone économique exclusive (ZEE) est incontestable, comme nous l’avions démontré avec le professeur Christian Jost dans notre ouvrage La Passion-Clipperton : L’île sacrifiée (Éd. La Biblioteca, 2018).
C’est l’intransigeance du général de Gaulle en 1945 qui nous a permis de récupérer l’île
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En effet, alors qu’à l’époque elle était revendiquée par le Mexique, c’est un arbitrage international de 1931, émanant du roi d’Italie Victor Emmanuel II, qui l’a définitivement attribué à la France. Seule possession française dans le Pacifique Nord, à 1 000 km des côtes mexicaines, d’une modeste superficie de 3,6 km², mais qui génère une ZEE de 436 000 km², plus que celle de la France hexagonale (Corse comprise), de 345 000 km², elle est stratégique mais délaissée.
Le problème de fond, c’est que, de fait, la France n’assume pas sa souveraineté. Est-on sérieux, quand on dit qu’un passage de quelques heures de la Marine nationale, tous les trois ans, pour repeindre la stèle et mettre un nouveau drapeau, est un gage de souveraineté ? Est-on responsable, quand on laisse cet atoll devenir un vaste amas de déchets, ainsi que j’ai pu le constater de mes propres yeux, en avril 2015, avec un terrible sentiment de gâchis et d’abandon ? Est-on raisonnable, quand on signe de scandaleux accords de pêche avec le Mexique, avec des licences gratuites qui privent les caisses de l’État de millions d’euros de ressources ? Est-on cohérent, quand on laisse piller les ressources halieutiques de notre ZEE, notamment le thon blanc, avec des pratiques de pêche que l’on combat partout ailleurs ? Est-on irréprochable, quand on ne veut pas voir que l’île sert parfois de base de transit pour les cartels de narcotrafiquants ? Est-on crédible en affirmant que la seule surveillance satellitaire, non-permanente de surcroît, peut nous permettre de voir et de savoir ce qui se passe sur l’île et dans sa ZEE ?
Face à une telle situation de crise avec les États-Unis, que ferait la France ? Elle produirait une protestation officielle, avec convocation de l’ambassadeur américain assurément. Prendrait-elle un train de mesures et de sanctions ? C’est peu probable. Partirait-elle dans une guerre type Malouines pour recouvrer sa souveraineté ? À ce jour, ce n’est même pas imaginable.
Pourtant, il existe une solution afin que tout cela n’arrive pas et nous assurer une souveraineté incontestable et effective. Suivant l’exemple de ce qui a été réalisé dans les Terres australes et antarctiques françaises, j’avais émis quatre recommandations et vingt-cinq mesures pratiques et concrètes, en vue de créer une base scientifique à vocation internationale. Avec le professeur Jost, nous avions même démontré qu’avec une valorisation des droits de pêche, un tel projet ne coûterait rien à l’État, tant en investissement qu’en fonctionnement. Nous avions également mis en avant l’intérêt scientifique de cette démarche avec l’appui de nombreux chercheurs en biologie marine, analyse d’écosystèmes, ornithologie, climatologie, sismologie…
Nommé parlementaire en mission sur ce sujet en 2016 par le Premier ministre de l’époque, Manuel Valls, mon rapport est soigneusement rangé dans les armoires du ministère des Outre-mer. Peut-être l’actuel ministre serait-il bien inspiré de le ressortir ? En janvier 2019 j’en avais personnellement parlé au président Emmanuel Macron, en lui remettant mon livre, qui n’a suscité de sa part… aucune réaction. Pour parler crûment, comme me l’a dit un jour avec dépit un collègue parlementaire : « Tout le monde s’en fout de ton île ». Mais ce n’est pas « mon île », je n’y ai pas plus d’intérêt que dans celle de Tromelin, quand nous avions fait capoter la ratification de l’inique traité de cogestion avec l’île Maurice.
Je suis simplement mû par la volonté de défendre une partie intégrante du territoire de la République. Pour moi, les territoires de la République sont les maillons d’une chaîne qui s’appelle la France. Certes, La Passion-Clipperton est le plus petit, le plus méconnu et le plus éloigné de ces maillons. Mais nous savons par expérience que quand un maillon casse, c’est toute la chaîne qui s’en ressent. Nous savons aussi que la nature a horreur du vide et qu’à force de ne rien faire, nous pourrions amèrement, là comme dans bien d’autres domaines, le regretter. J’espère pour une fois me tromper.
*Philippe Folliot est sénateur du Tarn, membre de la Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées et membre du Conseil consultatif des Terres australes et antarctiques françaises.
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